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chapitre deuxième.

jeune professeur de rhétorique, dont il savait à peine le nom, porterait le dernier coup aux dieux, clouerait dans le sépulcre l’ancien monde païen, et, par-dessus cette immense tombe, ferait resplendir la croix, symbole prophétique des plus belles destinées !

Augustin arriva à Milan avec son cher Alype à la fin de l’année 384. Il se présenta à l’évêque, dont la renommée remplissait le monde. Ambroise dispensait alors cette parole divine, « pur froment qui nourrit et fortifie l’homme, parfum qui l’embellit et lui donne la joie, vin qui l’enivre sans altérer sa raison[1]. » Saint Ambroise reçut Augustin avec une paternelle bonté ; le professeur de rhétorique[2] aima tout d’abord le grand évêque. Il se montrait assidu à écouter ses discours au peuple, non point dans l’intention de profiter des enseignements chrétiens, mais pour juger de l’éloquence du pontife. Le souvenir de Fauste lui revint à l’esprit comme terme de comparaison avec saint Ambroise ; le célèbre discoureur manichéen possédait plus que l’évêque de Milan la grâce du langage ; mais entre les deux hommes nulle comparaison n’était possible pour la solidité du raisonnement, la profondeur des idées et l’étendue du savoir.

Saint Ambroise avait été choisi pour ouvrir à Augustin la voie qui mène à Dieu. Une sorte de curiosité littéraire, le seul désir d’entendre une éloquente parole, conduisait Augustin aux discours du grand évêque ; peu à peu le charme de la forme faisait accepter le fond des choses, et la vérité pénétrait dans ce cœur qui n’espérait plus la découvrir. Le professeur de rhétorique de Milan rompit tout reste de relation avec le manichéisme, et se mit au rang des catéchumènes. C’est dans cette situation nouvelle que Monique trouva son cher Augustin, lorsque, après l’avoir longtemps suivi de loin depuis son départ d’Afrique, elle le joignit enfin à Milan. De quel triste poids Monique sentit son âme délivrée ! elle n’avait cessé de pleurer Augustin nuit et jour comme s’il eût été mort, mais cependant comme un mort que Dieu devait ressusciter, le portant dans le fond de sa pensée ainsi que dans un cercueil, jusqu’à ce qu’il plût à Dieu de rendre à la vie le fils de la veuve. Elle dit au catéchumène bien-aimé qu’elle espérait le voir fidèle enfant de l’Église, avant qu’elle sortît de ce monde. La pieuse mère écoutait avec ravissement les discours de saint Ambroise, et l’aimait en songeant que la situation meilleure de son fils était l’œuvre de sa parole. Il fallut toute l’affectueuse vénération qu’elle portait à saint Ambroise pour renoncer à la pieuse coutume d’apporter aux tombeaux des saints du pain, du vin, des viandes apprêtées, offrandes destinées aux pauvres. Cette coutume avait été supprimée à Milan à cause de sa ressemblance avec les pratiques superstitieuses des païens.

Tandis qu’il se faisait dans l’âme d’Augustin un heureux travail de vérité, avec quelle joie il se serait entretenu avec l’homme dont la parole l’avait remué ! Combien eussent été précieuses des réponses aux questions que le nouveau catéchumène s’adressait nuit et jour à lui-même ! Mais le mouvement des affaires épiscopales rendait saint Ambroise inaccessible aux désirs secrets d’Augustin. Ne pouvant répandre ses inquiétudes dans le sein de l’évêque, il était réduit à l’entendre seulement le dimanche, lorsqu’il expliquait à son peuple la foi chrétienne. Augustin le trouvait souvent dans sa chambre (car elle était ouverte à tout le monde), occupé à de sérieuses lectures ; les yeux de l’évêque parcouraient les pages du livre : sa langue était muette, sa bouche fermée : son cœur seul s’ouvrait pour comprendre et retenir. Augustin, en entrant dans la chambre de saint Ambroise, s’asseyait en silence ; après l’avoir longtemps contemplé sans oser l’interrompre, il se retirait sans rien dire. Il n’est pas de scène plus intéressante, plus touchante que la vue du jeune Augustin, le futur docteur de l’Église, encore livré aux agitations du doute, entrant à pas discrets et la bouche close dans la chambre de saint Ambroise, attachant de respectueux regards sur le grand évêque absorbé par une lecture grave, et bientôt après sortant en silence sans avoir osé troubler d’un mot le recueillement du pontife.

Les manichéens donnaient au Dieu des catholiques, créateur éternel, des formes humaines, par la raison que ce Dieu des chrétiens avait fait l’homme à son image. Augustin apprit avec joie que l’Église ne prêchait rien de pareil. Il connut alors que la lettre tue et que l’esprit vivifie. Dans la crainte d’admettre de fausses croyances, le catéchumène africain hésitait à accepter la foi ; cependant il inclinait à donner la préférence à l’Église catholique. Le

  1. Ps. 103, V. 15, 16.
  2. Le lieu où l’on croit que saint Augustin enseigna la rhétorique à Milan se nomme Cathedra S. Augustini.