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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

Damase étant mort peu de temps après, Jérôme s’éloigna de Rome où sa laborieuse vie se trouvait en butte à des passions jalouses ; il est intéressant de remarquer qu’Augustin aurait pu, à cette époque, faire connaissance avec le savant docteur qu’il ne devait plus rencontrer dans la suite de ses jours.

Aux années dont nous parlons, de temps en temps on entendait dire que telle ou telle des illustres familles qui remplissaient Rome de leur magnificence et de leur orgueil, venait tout à coup d’embrasser la pauvreté de Jésus-Christ, et que leurs trésors avaient servi à des églises, à des fondations pieuses, à des aumônes. Rome offrait un curieux spectacle dont Augustin fut assurément frappé, mais dont il n’a rien dit pour la postérité. Les quatre cent vingt sanctuaires païens de l’ancienne maîtresse des nations étaient presque tous déserts, et si les statues des dieux subsistaient encore, on pouvait les prendre pour des suppliants qui imploraient de la pitié du monde un peu de vie et d’honneur. Au milieu de cette société romaine dont nous avons peint la corruption et les suprêmes orgies, à côté de ces temples où de rares adorateurs venaient assister en quelque sorte à l’agonie des dieux, on voyait des hommes, détachés des biens fragiles, vivre entre eux sous un régime de vie inconnu à l’ancien monde ; leurs jours s’écoulaient dans la prière, le travail et les plus dures austérités. On rencontrait des communautés d’hommes et des communautés de femmes. Augustin les avait visitées avec une respectueuse admiration. Il en a parlé dans son livre des Mœurs de l’Église catholique, dont nous aurons à nous occuper plus tard. Quel contraste entre la vie de ces hommes évangéliques, de ces vierges et de ces veuves, et la vie de ces patriciens débauchés se roulant dans la fange des plaisirs les plus immondes !

Au milieu de l’agonie des dieux, le génie chrétien s’était fait sentir aux pauvres de la ville éternelle, par une œuvre qui avait honoré Valentinien, en 368[1]. Un habile médecin, établi dans chacun des quatorze quartiers de Rome, et entretenu aux dépens du trésor public, était chargé de secourir les indigents malades. Le décret impérial permettait aux médecins d’accepter des malades guéris un témoignage de reconnaissance, mais défendait d’exiger ce que la peur avait pu promettre avant la guérison. On donnait au concours ces places de médecins qui venaient à vaquer, et le mérite seul décidait de l’élection.

Ainsi allaient Rome et l’empire en 383. Augustin, logé chez un auditeur des manichéens, tomba malade en arrivant. Alype, son ami et son disciple, l’avait suivi ; son tendre dévouement contribua, sans doute, à la prompte guérison du fils de Monique. En attendant d’autres lumières, Augustin tenait encore à certains points du manichéisme ; il fréquentait à Rome les auditeurs, les saints et les élus de la secte. Dans l’état où l’avaient laissé ses mécomptes avec les manichéens, son désespoir le ramenait parfois à l’opinion des philosophes académiciens, qui refusaient à l’homme le pouvoir de s’élever à la connaissance d’aucune vérité. La principale cause des erreurs d’Augustin, c’est qu’il ne pouvait pas concevoir qu’il existât quelque chose hors des corps. Les manichéens attaquaient dans les saintes Écritures des passages dont la défense lui paraissait impossible ; quelquefois il éprouvait le désir d’en conférer avec quelque chrétien versé dans l’étude des livres saints. À Carthage, Augustin avait entendu sur ce point un certain Helpidius, dont les discours firent quelque impression sur son esprit. Pour échapper aux réponses d’Helpidius, les sectaires disaient que les livres du Nouveau Testament avaient subi des altérations ; mais ils ne pouvaient pas produire un exemplaire de ces livres tels qu’ils devaient être avant cette prétendue falsification.

Les élèves de rhétorique ne manquèrent pas à Augustin. Les désordres des écoles de Carthage ne se montraient point dans les écoles de Rome[2] ; toutefois la bassesse remplaçait ici la turbulence. Souvent il arrivait que les écoliers romains se concertassent entre eux pour priver leur maître de son salaire, et déserter en masse ses leçons. Augustin sentait un profond mépris pour ces façons d’agir ; il passa vite du mépris au dégoût, et lorsqu’il sut que la ville de Milan avait demandé à Symmaque, préfet de Rome, un professeur de rhétorique, il sollicita et obtint cet emploi. Symmaque, pour s’assurer de la capacité d’Augustin, lui proposa le sujet d’un discours, que le candidat prononça devant lui. Le défenseur des vieilles divinités romaines ne se doutait pas que ce

  1. Lebeau, Histoire du Bas-Empire, livre XVII.
  2. Les traditions de Rome n’ont pas oublié le lieu on saint Augustin enseigna la rhétorique ; la place présumée est marquée par l’église de Santa Maria della scuola graeca.