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histoire de saint augustin.

Augustin comme une image de Dieu, le roi de l’éternité ; c’est dans ce qui doit toujours être, c’est dans l’âme immortelle que nous devons chercher une image du Créateur. L’esprit qui se regarde, se comprend et se reconnaît par la pensée, voilà une véritable image de la Trinité. Cette partie du quatorzième livre contient des idées déjà exprimées ailleurs ; mais ces idées reçoivent ici des développements et une grande clarté. L’auteur monte plus haut vers l’éternelle lumière, lorsqu’il nous dit que l’âme humaine est une image de la Trinité, non pas seulement parce qu’elle peut se souvenir d’elle-même, se comprendre et s’aimer, mais surtout parce qu’elle peut se souvenir de Dieu, concevoir et aimer ce Dieu dont elle est l’ouvrage. La rébellion et le désordre effacent en nous l’image de Dieu ; la justice et l’amour divin la renouvellent et l’achèvent jusqu’à donner à l’âme humaine, au delà du tombeau, son dernier trait de ressemblance avec l’auguste Trinité.

Le quinzième et dernier livre est comme un résumé de tout l’ouvrage. Il se termine par une prière. Après avoir dit qu’il a cherché Dieu, qu’il a désiré voir avec son intelligence ce qu’il croyait, qu’il a beaucoup discuté et beaucoup travaillé, « Seigneur mon Dieu, s’écrie Augustin, ma seule espérance, exaucez-moi, de peur que ma lassitude ne m’empêche de vous chercher encore, mais faites que je cherche toujours ardemment votre face. Donnez-moi le courage de vous chercher, vous qui m’avez fait vous trouver et qui m’avez donné de plus en plus cette espérance. Ma force et ma faiblesse sont devant vous ; conservez l’une, guérissez l’autre. Ma science et mon ignorance sont devant vous ; recevez-moi lorsque j’entre, là où vous m’ouvrez ; ouvrez-moi lorsque je frappe, là où vous fermez. Que je me souvienne de vous, que je vous comprenne, que je vous aime ; augmentez en moi ces choses jusqu’à ce que vous m’ayez entièrement renouvelé. » Le grand évêque se rappelle ensuite ces mots de l’Écriture[1] : Vous n’éviterez point le péché dans les longs discours, et regrette d’avoir longuement parlé. Il demande à Dieu de le délivrer des longs discours et aussi de ses propres pensées, quand elles ne sont point agréables à Dieu : lorsque sa bouche se tait, son esprit ne se tait point : « Mes pensées, telles que vous les connaissez, ajoute le saint docteur, sont en grand nombre ; ce sont des pensées humaines, pensées vaines. Faites-moi la grâce et de ne pas les suivre, et si parfois elles me plaisent, de les désapprouver et de ne m’y point endormir. Que rien dans mes ouvrages ne procède de mes propres pensées, mais que mon jugement et ma conscience s’en défendent par votre secours. »

L’ouvrage de la Trinité est comme un long regard attaché sur le soleil ; l’œil du grand évêque est vigoureux, perçant, intrépide ; il ne se ferme pas devant les éblouissants rayons de l’astre éternel. Augustin, plongeant au sein des mystères de l’infini, cherche à concilier l’idée de l’unité divine avec le dogme des trois personnes éternelles ; il interroge tour à tour les Écritures inspirées et l’âme humaine ; ce n’est pas une des moindres beautés de son œuvre que de montrer dans l’homme une vivante image de la Trinité, image qui devient de plus en plus ressemblante par la pratique de la vertu, et qui se déifie en quelque sorte en passant de l’énigme et du voile de la vie à l’évidence de l’éternité. Comme l’humilité de l’évêque d’Hippone s’accroît à mesure que s’élève son génie, ce grand homme finit par demander pardon à Dieu de ses propres pensées, et proclame l’infirmité et la vanité de tout ce qui dans son ouvrage ne serait pas de Dieu lui-même.

Quelque effort que fasse le génie humain, il ne saurait franchir les bornes posées à son audace ; quelque hardi que puisse être son vol, la raison humaine n’atteindra jamais à ce qui est au-dessus d’elle. Augustin établit par l’Écriture le mystère d’un Dieu en trois personnes, mais ne l’explique pas ; il reconnaît dans l’entendement humain une sorte d’empreinte de là Trinité éternelle, mais cette empreinte est plutôt un pressentiment qu’une démonstration de la vérité. Tout ce que les anciennes traditions religieuses et poétiques des diverses nations peuvent nous offrir sur le mystère du nombre trois, est une trace plus ou moins effacée, mais ne conclut point absolument[2]. Un mystère est comme une sainte nuit qui environne le vrai : c’est Dieu seul qui fera lever l’aurore. La Trinité demeure incompréhensible pour nous, malgré les efforts d’un puissant génie, et nous nous souvenons ici de la légende qui fait apparaître à l’auteur du traité sur la

  1. Proverb., X, 19.
  2. M. l’abbé Maret, dans sa Théodicée chrétienne, examine savamment la question de savoir s’il y a une trinité dans Platon. 10e leçon