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histoire de saint augustin.

de justice : « Je sens, s’écrie-t-il, combien le cœur humain enfante d’illusions ! et qu’est-ce que mon cœur, si ce n’est le cœur humain ? » Il prie Dieu que ces illusions ne viennent pas se mettre à la place de la vérité dans son ouvrage.

En divers endroits de notre ouvrage, nous avons entendu le grand évêque nous parler de l’incarnation ; nous ne pouvons nous arrêter à ce que renferme sur ce mystère le quatrième livre de la Trinité. Le Verbe fait chair est considéré comme l’illuminateur de notre intelligence, comme le libérateur de l’âme et du corps, tous les deux promis à la mort : le péché tue l’âme, la peine du péché tue le corps. L’abandon de Dieu est la mort de l’âme, comme l’abandon de l’âme est la mort du corps. Une digression sur le nombre six et sur le nombre trois, l’unité morale du monde constituée par la médiation d’un seul, quelques considérations sur les philosophes anciens, qui n’ont rien à nous apprendre sur la source du fleuve du genre humain et sur la future résurrection des morts, et qui n’ont pas été dignes de recevoir les révélations d’en-haut, remplissent plusieurs chapitres. L’incarnation a été comme un degré divin pour nous faire monter à l’immuable vérité. Il y a, dit Augustin dans le dix-huitième chapitre, aussi loin de notre foi à l’évidence de la vérité par laquelle nous atteindrons à la vie immortelle, qu’il y a loin de la mortalité à l’éternité. La vérité doit un jour succéder à la foi, comme l’éternité à la mortalité.

Le cinquième livre est abstrait ; c’est une réponse aux ariens, qui attaquaient le mystère de la Trinité en cherchant à prouver la différence de la substance du Père et du Fils. « Tout ce qui se conçoit et se dit de Dieu se dit et se conçoit non selon l’accident, mais selon la substance ; être non engendré se dit du Père selon la substance ; être engendré se dit aussi du Fils selon la substance. Il est différent de n’être pas engendré et d’être engendré : donc la substance du Père et du Fils est différente. » L’évêque répond : « Si tout ce qui se dit de Dieu se dit selon la substance, « il est donc dit selon la substance : Mon père et moi nous ne sommes qu’un. La substance du Père et du Fils est donc une et la même, et si cela n’a pas été dit selon la substance, on peut donc dire de Dieu quelque chose qui ne soit pas selon la substance ; et dès ce moment nous ne sommes pas forcés d’entendre selon la substance le non-engendré et l’engendré. » Le docteur cite ces paroles de saint Paul : Il (le Fils) n’a pas cru usurper en se disant égal à Dieu[1]. Il applique le même argument à ce passage, et le raisonnement des ariens se trouve renversé. D’après les principes établis par le saint évêque, ce qui se dit substantiellement de Dieu se rapporte aux trois personnes, comme quand on parle de la bonté, de la splendeur, de la toute-puissance de Dieu ; ce qui se dit d’une des personnes divines, du Père, du Fils ou du Saint-Esprit ne s’applique pas à la Trinité tout entière. Il n’y a qu’une essence, mais trois personnes ou trois hypostases, comme disent les Grecs, et toutefois le grand docteur avoue que les expressions manquent pour définir avec précision les mutuels rapports des trois personnes divines.

Le sixième livre prouve que ces noms : vertu de Dieu et sagesse de Dieu[2], donnés au Christ n’atteignent en rien l’égalité du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; il explique ces paroles de saint Hilaire : L’éternité dans le Père, la ressemblance dans l’image, l’usage dans le don, qui ne sont qu’une désignation des attributs des personnes divines. Le septième livre continue l’examen de la même question.

Dans le huitième livre, le saint évêque établit que deux ou trois personnes de la Trinité ne sont pas plus grandes qu’une seule ; en voici la raison : la grandeur d’un être est dans sa vérité ; pour avoir plus de grandeur, il est nécessaire d’avoir plus de vérité, et le Père et le Fils ensemble ne sont pas plus vrais que le Père et le Fils en particulier. Le Saint-Esprit est aussi vrai et par conséquent aussi grand que le Père et le Fils ensemble. La Trinité n’est pas plus grande qu’une seule des personnes qui la composent. Augustin découvre dans la charité un vestige du divin mystère qui nous occupe. Il y a trois choses dans la charité : celui qui aime, celui qui est aimé et l’amour.

Cette image de la Trinité trouvée en nous-mêmes prend un développement d’une remarquable profondeur dans le neuvième livre. Augustin distingue dans l’homme un esprit, une connaissance de soi-même, un amour de soi-même. Exister, se connaître, s’aimer, ces trois choses-là sont absolument égales dès qu’elles sont parfaites, et forment substantiellement une même chose. L’esprit, la connais-

  1. Aux Philip., II, 6.
  2. Aux Corinth., I, 24.