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chapitre trente-cinquième.

le commentaire d’Augustin sur la création. Bossuet, dans les premières pages du Discours sur l’Histoire universelle, s’est inspiré des passages où l’évêque d’Hippone nous montre la Trinité éternelle créant l’univers et l’homme. Augustin, dans sa justification du récit de Moïse, a deviné des points dont la science moderne a reconnu l’exactitude. Le grand docteur établit que c’est l’opération de Dieu qui donne à chaque créature son mouvement et lui conserve l’existence : il n’en est pas du monde comme d’un édifice qui subsiste, quoique la main de l’architecte n’y apparaisse plus ; si Dieu cessait de gouverner le monde, le monde cesserait d’exister[1]. Augustin inclinait à penser que les jours de la création n’étaient pas des jours comme les nôtres ; il croyait que Dieu a tout créé à la fois. Milton aurait pu apprendre à connaître les anges en lisant le cinquième livre sur la Genèse ; l’évêque d’Hippone marque leur création au premier jour, qui fut le jour de la création de la lumière. Son opinion sur le paradis terrestre, c’est qu’il a réellement existé ; il permet qu’on lui donne un sens spirituel ; mais il condamne l’opinion qui n’y verrait qu’une pure allégorie[2]. Augustin n’adopte aucun sentiment sur le lieu où a pu être situé le paradis terrestre, et ne juge pas les hommes capables de résoudre cette question. Le dixième livre roule tout entier sur l’origine de l’âme. Dans sa lettre à saint Jérôme, Augustin paraissait se rapprocher de l’opinion qui admettait une création journalière des âmes à mesure que des enfants reçoivent la vie ; dans le dixième livre sur la Genèse, il semble pencher vers l’opinion qui fait naître une âme d’une autre âme. Cette question, qui occupait vivement alors l’Afrique et l’Orient, est creusée à fond. Toutefois Augustin ne se prononce pas. Ce beau génie, que passionnait si prodigieusement l’amour de la vérité, n’est jamais plus admirable que dans l’aveu de son ignorance.

Dans le onzième livre, le grand évêque demande pourquoi Dieu a permis la tentation d’Adam, et répond que l’homme eût été moins digne de louange, si sa fidélité n’eût pas été mise à l’épreuve. Il croit que le diable, tombé par l’orgueil, était un ange inférieur aux bons anges. La soumission de la femme à l’égard de son mari lui paraît une expiation de sa faute. Que d’idées et d’observations, que de choses dans ces douze livres ! Mais nous craindrions de nous aventurer trop avant sur l’océan théologique.

Il se présente ici un autre travail d’Augustin qui donnerait matière à une longue appréciation, si notre rôle d’historien ne nous traçait point d’infranchissables limites ; c’est le beau travail sur les Psaumes, l’Explication[3] des Cantiques du royal prophète, faite presque toujours devant le peuple à Hippone ou à Carthage, remarquable au plus haut degré, moins par la forme que par la solidité de la morale, la grandeur des pensées et la variété des enseignements religieux.

Augustin s’élève parfois à une forte éloquence. Il semblait parler pour notre époque, lorsqu’il faisait entendre ces mots[4] : « Maintenant ils voient l’Église et disent : Elle va mourir et bientôt son nom sera effacé ; il n’y aura plus de chrétiens, ils ont fait leur temps. — Or, pendant que ces hommes disent toutes ces choses, je les vois mourir chaque jour, et l’Église demeure toujours debout, annonçant la puissance de Dieu à toutes les générations qui se succèdent. » Ailleurs[5], il commente cette parole du Prophète sur les impies : Leurs chefs, leurs juges sont absorbés par la pierre. « Or, la pierre, c’est Jésus-Christ, ajoute Augustin. Aristote était un grand maître, mais approchez-le de cette pierre, il est absorbé ! Autrefois on disait de lui : Le Maître a parlé, et aujourd’hui on dit : Le Christ a parlé, et Aristote tremble au fond de son tombeau. Pythagore et Platon étaient aussi de grands philosophes ; faites-les avancer, approchez-les de cette pierre, comparez leur autorité à celle de l’Évangile, comparez ces hommes superbes à un pauvre crucifié. Disons-leur : Vous avez écrit vos sentences dans les cœurs orgueilleux, et lui (le Christ) il a planté sa croix sur le front des rois ; puis il est mort et il est ressuscité ; mais vous êtes morts vous aussi, et je ne veux pas chercher comment vous ressusciterez. Ils sont donc absorbés par cette pierre, et leur science ne paraît de quelque valeur que si on évite de la comparer à l’Évangile. » Dans son commentaire du psaume 148, l’évêque d’Hippone nous dit que les créatures sans intelligence louent Dieu, parce qu’elles sont bonnes et que, demeurant dans l’ordre établi, elles contribuent à la beauté de l’univers ; il ajoute admirable-

  1. Livre IV.
  2. Livre VIII.
  3. Enarrationes in Psalmos.
  4. Sur le Ps. LXX,12.
  5. Sur le ps. CXL, 19.