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histoire de saint augustin.

est un acte. L’homme boitera, tant que son pied ne sera pas guéri. De même il y aura péché, tant que l’homme intérieur n’arrivera pas à la guérison.

— L’homme doit-il être sans péché ? Sans doute il le doit. S’il le doit, il le peut. S’il ne le peut pas, il ne le doit pas.

La comparaison du boiteux va nous aider à répondre. Quand nous voyons un boiteux qui peut être guéri, nous disons avec raison : Cet homme ne doit pas boiter ; et s’il le doit, il le peut. Cependant il ne saurait se guérir au gré de sa prompte volonté ; il faut que les soins de la médecine viennent à son secours. Jésus-Christ est descendu pour venir en aide aux malades de la terre.

Comment l’homme pèche-t-il ? est-ce par la nécessité de la nature ou par son libre arbitre ? Si c’est par nécessité de nature, l’homme n’est pas coupable ; si c’est par libre arbitre, c’est de Dieu qu’il l’a reçu, et que devient alors la bonté d’un Dieu qui incline l’homme plus facilement au mal qu’au bien ?

L’homme pèche par son libre arbitre. Mais une corruption pénale a changé la liberté humaine en une sorte de nécessité qui fait pousser vers Dieu ce cri : Tirez-moi de mes nécessités[1]. Placés sous leur empire, ou bien nous ne pouvons pas comprendre ce que nous voulons, ou bien nous ne pouvons pas accomplir ce que nous avons compris. Le libérateur a promis la liberté aux croyants. « Vous serez libres, a-t-il dit, quand le fils vous aura délivrés. » Vaincue par le vice dans lequel elle est tombée volontairement, la nature a perdu de sa liberté. Voilà pourquoi l’Ecriture a dit : On est l’esclave de celui par qui on a été vaincu. De même que ce sont les malades, et non pas les gens bien portants, qui ont besoin du médecin, de même ce sont les esclaves, et non pas les hommes libres, qui ont besoin d’un libérateur. La santé de l’âme, c’est sa vraie liberté.

Nous bornerons ici cette analyse. Les solutions données aux autres questions de Célestins se retrouvent dans les précédentes parties de notre travail. L’éternelle objection, c’est l’inutilité de la volonté humaine dans un ordre moral où tout est subordonné à la volonté de Dieu seul ; Augustin répond toujours que la volonté humaine est faible et malade depuis la chute, mais qu’elle n’est point vaine et qu’elle peut encore remonter à la justice avec le secours divin.

Tous les traits qui révèlent les usages de ces temps reculés doivent entrer dans notre œuvre. Augustin avait écrit en son nom et au nom d’Alype à Maxime, médecin de Ténès (l’ancienne Cartenna) pour le féliciter d’être sorti de l’arianisme et l’inviter à ramener à la foi chrétienne ceux de sa maison dont l’éloignement de l’Église était son ouvrage. Peu de temps après, un billet de l’évêque d’Hippone à Pérégrin, évêque de Ténès, le priait d’avertir Maxime au sujet de la forme de la lettre qu’il lui avait adressée : les tablettes ou le parchemin était écrit des deux côtés. Augustin veut faire prévenir Maxime qu’il est dans la coutume d’écrire ainsi aux évêques et même aux laïques avec qui il entretient des relations familières ; il ajoute que de cette manière les lettres sont plus tôt faites et d’une plus facile lecture. On n’écrivait que sur un seul côté du parchemin les lettres de cérémonie.

Nous avons vu que l’ardente admiration des hommes laissait à peine à Augustin le temps d’achever ses ouvrages. Mais il en est un que le grand docteur put défendre pendant quatorze ans contre les instances de ses amis c’est l’ouvrage sur le sens littéral de la Genèse, composé de douze livres, terminé dès l’année 401, et qui ne fut publié qu’en 415. Comme la matière était semée de difficultés, Augustin saisissait chaque instant de loisir pour corriger son œuvre. Dans sa Revue[2], l’évêque d’Hippone met cet ouvrage beaucoup au-dessus du livre imparfait sur la Genèse, qu’il composa lorsqu’il était simple prêtre ; mais il confesse qu’en beaucoup d’endroits il cherche plutôt la vérité ; qu’il ne la trouve, et que ce travail renferme, plus d’hésitations que de certitudes. Son but était de faire voir que la lettre même de la Genèse n’offre rien qui ne puisse être vrai. Les douze livres contiennent seulement l’explication des trois premiers chapitres de la Genèse ; chaque mot de cette merveilleuse histoire de, la création appelait de longs discours. Le pénétrant commentateur s’est arrêté au verset 23 du troisième chapitre, qui nous montre le premier homme chassé du paradis. Le douzième et dernier traite du paradis ou du troisième ciel de saint Paul, des visions et des pressentiments prophétiques.

De magnifiques éclairs de génie brillent dans

  1. De necessitatibus meis educ me. Ps. XXIV, 18.
  2. Livre I, chap. 18.