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chapitre trente-troisième.

sonnages de l’Écriture, si on les interrogeait, répondraient d’une voix par ces paroles de saint Jean : « Si nous disons que nous n’avons point de péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous[1]. » Pélage prétend que si Abel avait péché, l’Ecriture eût rapporté ses fautes comme elle a rapporté celles d’Adam, d’Ève et de Caïn. Augustin fait observer que les livres sacrés ne pouvaient pas raconter la multitude de fautes légères qu’un homme peut commettre dans sa vie. En revenant à la question de savoir si on peut se maintenir pur, Augustin remarque qu’il ne s’agit pas maintenant de notre nature telle qu’elle a été primitivement formée, mais de la nature corrompue ; il s’agit de l’homme que les voleurs ont laissé à demi-mort sur le chemin, couvert de blessures et qui ne saurait remonter au sommet de la justice d’où il est tombé : on lui panse encore les plaies, quoiqu’il soit déjà dans l’hôtellerie[2]. Pélage s’armait de quelques passages de Lactance, de saint Hilaire, de saint Ambroise, de saint Chrysostome, de saint Jérôme et d’Augustin lui-même ; l’évêque d’Hippone explique ces divers passages et leur restitue leur signification catholique.

Nous ne connaissons l’ouvrage de Pélage que par les citations qu’en fait Augustin dans le livre De la Nature et de la Grâce. Obligé de soutenir sa doctrine par le témoignage de l’Écriture et des Pères, Pélage multiplie les ambiguïtés et les subtilités ; son rationalisme, emprisonné dans le cercle des livres inspirés, ne se maintient qu’à la faveur de la nuit de certains passages ; il ne vit qu’à l’aide des violences qu’il fait subir aux mots. On sent que la vérité des livres saints et de la tradition enveloppe Pélage de replis et de nœuds auxquels il s’efforce en vain de s’arracher ; il y demeure enlacé et tombe d’épuisement sous l’étreinte de la vérité victorieuse. Augustin chasse avec sa lumière toutes les ombres où se cantonne l’hérésiarque breton ; il remet au service de la foi toutes les paroles dont le novateur abuse, enlève à Pélage les armes que celui-ci avait dérobées à l’arsenal des Écritures, et le jette, solitaire et nu, au pied du dogme catholique triomphant !

Timase et Jacques reçurent avec une vive joie le livre composé à leur prière ; plus forts et plus consolés après cette lecture, ils s’écrièrent avec le Psalmiste : « Dieu a envoyé sa parole et les a guéris[3]. » Ils admirèrent comment Augustin avait relevé jusqu’aux moindres détails de l’ouvrage de Pélage. Mais ils éprouvèrent le regret que ce livre excellent leur fût parvenu trop tard pour être mis entre les mains des hommes qui en auraient eu le plus de besoin ces hommes, au nombre desquels se trouvait peut-être Pélage, étaient partis ; mais les deux jeunes catholiques espèrent que Dieu,-qui veut éclairer et sauver toutes les créatures formées à son image, fera parvenir aux esprits égarés ce bienfait de sa grâce. Timase et Jacques étaient déjà sortis de l’erreur par la parole de l’évêque d’Hippone ; ils se félicitent qu’une explication plus étendue les ait mis dans le cas d’instruire les autres.

Le livre ou la lettre sur la Perfection de la justice de l’homme appartient, comme le livre de la Nature et de la Grâce, à l’année 415. Augustin n’ayant point parlé de ce travail dans la Revue de ses ouvrages, il a fallu le témoignage positif de Possidius et aussi les témoignages de saint Fulgence et de saint Prosper pour l’attribuer à l’évêque d’Hippone. L’auteur du livre de la Perfection de la justice de l’homme ne repousse pas absolument l’opinion de ceux qui prétendaient qu’un chrétien pouvait, avec la grâce de Dieu, se défendre de toute souillure en ce monde ; cette opinion fut condamnée par le concile de Carthage en 418, ce qui assigne au livre dont il s’agit une date antérieure à la date du concile. Possidius le place vers la fin de l’année 415, entre le livre de la Nature et de la Grâce et le livre des Actes de Pélage. Ce travail, adressé aux évêques Eutrope et Paul, est une réponse à un écrit de Célestius, apporté de Sicile, et qui avait pour titre : Définition qu’on dit être de Célestius. C’est peut-être au sujet de cet écrit que saint Jérôme montrait Célestins se promenant, non point sur les épines des syllogismes, mais sur les épines des solécismes. L’ouvrage d’Augustin est une réponse à une série de questions ou de raisonnements posés par Célestius. Nous reproduirons ce qui a trait aux questions les plus importantes.

— Le péché nous est-il naturel ou accidentel ?

Le péché n’est pas naturel, mais provient d’une nature corrompue.

— Le péché est-il un acte ou une chose ?

Le péché est un acte comme la claudication

  1. I Jean 1, 10.
  2. Saint Luc, 10, 37.
  3. Ps. CVI, 20.