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histoire de saint augustin.

Pélage ne se bornait point à soutenir que l’homme pourrait être sans péché, mais il soutenait encore que l’homme ne saurait être coupable, à moins qu’il fût en son pouvoir de se maintenir exempt de faute[1]. Augustin répond par l’exemple des petits enfants auxquels est fermée la porte du royaume des cieux, lorsqu’ils n’ont pas eu le bonheur de recevoir le baptême ; il ne dépendait pas d’eux pourtant d’être purifiés ou de ne l’être pas dans l’eau régénératrice. Une équivoque de Pélage avait fait d’abord espérer à Augustin que le novateur admettait la grâce comme condition indispensable de la justification. Mais plus tard l’évêque reconnut que la grâce de Pélage n’était que le libre arbitre et la connaissance de la loi. Pélage invitait à demander pardon à Dieu des péchés commis, et se taisait sur la nécessité de prier pour éviter les fautes à l’avenir. Augustin lui cite ces paroles de l’Oraison dominicale : Ne nous induisez point en tentation. Les péchés, disait Pélage, ne sont pas des substances et ne peuvent pas vicier.

« O frère, s’écrie Augustin, il est bon de vous souvenir que vous êtes chrétien ! Peut-être suffirait-il de croire ces choses ; mais cependant, comme vous voulez disputer, il ne serait pas mauvais, mais il serait utile d’avoir précédemment la foi. Ne pensons pas que le péché ne puisse pas vicier la nature humaine, mais, sachant par les divines Écritures que notre nature est corrompue, cherchons plutôt comment cela s’est fait. Nous avons appris déjà que le péché n’est pas une substance, mais ne pas manger, ce n’est pas une substance, et cependant le corps, s’il est privé de nourriture, languit, s’épuise, se brise tellement, que la durée d’un tel état lui permettrait à peine de revenir à cette nourriture dont la privation l’a vicié. C’est ainsi que le péché n’est pas une substance, mais Dieu est une substance et une substance souveraine, et la seule nourriture vraie de la créature raisonnable ; en se retirant de lui par la désobéissance, et refusant par faiblesse de puiser et de se réjouir où il devait, entendez le Prophète s’écrier : Mon cœur a été frappé et s’est desséché comme la paille, parce que j’ai oublié de manger mon pain[2]. » La mort, disait Pélage, n’est pas une peine du péché, puisque Jésus-Christ est mort. Augustin répond que la mort, comme la naissance du Sauveur, n’a pas été une condition de sa nature, mais une puissance de sa miséricorde ; sa mort a été le prix de la rédemption des hommes. L’évêque d’Hippone montre tour à tour que quelque chose de bon peut sortir du mal, que l’orgueil de l’homme l’empêche ; de comprendre un certain ordre de vérités, et qu’il serait plus utile de prier pour les hérétiques que de disputer avec eux. Il n’est pas vrai de dire que le péché a été nécessaire pour qu’il devint une cause de miséricorde : plût à Dieu que le mal ne fût point entré dans le monde et que nous n’eussions pas eu besoin de la miséricorde d’en-haut ! Dieu est le médecin suprême de nos infirmités, mais, pour nous guérir, il ne prend conseil que de sa sagesse. Dieu nous laisse quelquefois : c’est pour que la chute qui suit cet abandon nous apprenne à réprimer notre orgueil et à mettre en Dieu seul notre confiance. L’orgueil est le commencement de tout péché : « Vous serez comme des dieux, » dit à nos pères l’antique serpent.

« De quelle manière, disait Pélage, les saint ; ont-ils quitté la vie ? est-ce avec péché ou sans péché ? » Cette question cachait un piège : si on répond : avec. péché, la damnation frappe les saints ; si on répond : sans péché, Pélage conclura que l’homme peut être exempt de fautes, au moins aux approches de la mort Tout pénétrant qu’il est, dit Augustin, il n’a point réfléchi que ce n’est point en vain que les justes eux-mêmes répètent dans leur oraison : Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Le Seigneur Jésus-Christ, après avoir enseigné à ses disciples son oraison, avait ajouté : « Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses ; votre père vous pardonnera aussi vos péchés. » Grâce à ce spirituel encens de la prière que nous brûlons chaque jour sur l’autel de notre cœur élevé vers Dieu, s’il n’est point en notre pouvoir de vivre sans péchés, il nous est au moins permis de mourir sans péché : le pardon divin vient couvrir les petites fautes d’ignorance ou de faiblesse. Pélage reproduit la liste des justes de l’Écriture qu’il suppose avoir vécu sans péché : Augustin proclame qu’un seul de ces personnages a passé des jours exempts de toute souillure : c’est Marie, mère du Rédempteur. Les autres saints per-

  1. Nam si idcirco tales fuerunt, quia aliud esse non potuerunt, culpa carent.
  2. Chap. 20.