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chapitre trente-troisième.


CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME.




Du livre de la Nature et de la Grâce. — Du livre de la perfection de la justice de l’homme. — Lettre à Maxime de Ténés. — Les douze livres sur le sens littéral de la Genèse[1]. — Explication des psaumes.

(415-416.)


Il y a presque toujours dans la vie d’un homme des faits personnels qui déterminent ses opinions en ce qu’elles ont de plus arrêté. Depuis l’âge de raison jusqu’à trente ans, Augustin, réduit à ses propres forces, aux seules ressources de son esprit, roule d’impuissance en impuissance, d’erreur en erreur ; en cheminant avec les lumières purement humaines, il fait tout le tour des aberrations philosophiques, et ne découvre rien qui le tire du vide immense dans lequel il s’agite. Ce n’est que par un visible secours divin qu’enfin il arrive à la possession de la vérité. De ce long et inutile travail, de ces recherches opiniâtres et vaines, le fils de Monique conclut que l’homme tout seul ne pouvait rien pour s’élever aux choses éternelles. Ce sentiment, conforme à la révélation chrétienne, se produisit énergiquement dans le livre des Confessions, bien avant l’apparition du pélagianisme ; et lorsque Péage, Célestius et leurs adhérents voulurent ne voir dans la grâce que la connaissance du bien et la faculté de choisir, Augustin s’arma contre eux de toute la puissance d’une profonde conviction personnelle, évidemment appuyée d’ailleurs sur l’autorité des livres saints.

Deux jeunes hommes nobles et lettrés, Timase et Jacques, avaient été disciples de Pélage et s’étaient séparés du monde ; mais ils avaient sucé l’hérésie en même temps que l’amour des vertus chrétiennes, et s’étaient déclarés les ennemis de la grâce. Augustin les tira de l’erreur. Timase et Jacques communiquèrent alors à l’évêque d’Hippone un ouvrage de Pélage en forme de dialogue, où la grâce était immolée au profit de la nature ; ils lui demandèrent instamment de le réfuter. Augustin ne se détournait qu’avec peine de ses œuvres commencées, mais cette fois il quitta tout, et avec empressement, pour combattre directement l’homme dont l’enseignement antichrétien égarait les consciences. Il s’abstint pourtant de nommer Pélage dans un intérêt de charité, et afin de ne compromettre par aucune irritation l’espérance de son retour à la vérité catholique. Dans notre analyse du livre De la Nature et de la Grâce, comme dans l’analyse de tous les ouvrages qui suivront sur la question pélagienne, nous aurons toujours soin de nous défendre des répétitions : Augustin était souvent forcé de revenir sur les mêmes raisonnements et les mêmes vérités, mais nous n’avons pas la même nécessité vis-à-vis de notre lecteur.

La raison de la foi chrétienne, c’est l’intelligence de cette vérité : que la justice de Dieu ne consiste pas dans les commandements de la loi, mais dans le secours de la grâce de Jésus-Christ. Si on pouvait vivre avec une parfaite justice sans la foi en Jésus-Christ, cette foi ne serait point nécessaire au salut, et dès lors on pourrait se demander pourquoi Jésus-Christ est mort. La mort du Sauveur serait vaine, si elle n’avait pour but la justification et la délivrance de la nature humaine. La nature de l’homme fut créée saine et pure ; depuis la rébellion primitive elle a besoin d’un médecin. Le secours de Jésus-Christ, sans lequel il n’est pas de salut, n’est pas le prix du mérite, mais on le reçoit gratuitement, et voilà pourquoi on l’appelle grâce. Tous ayant péché, la masse du genre humain aurait pu être condamnée sans injustice de la part de Dieu ; l’Apôtre nomme avec raison les élus des vases de miséricorde, et non pas des vases de mérite. Tels sont les principes que l’évêque d’Hippone proclame dans les derniers chapitres du livre De la Nature et de la Grâce.

  1. De Genesi ad litteram.