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chapitre trente-troisième.

véritable culte de Dieu, d’où naissent tous les devoirs de la vie. Et la raison de cela, c’est que les philosophes ont voulu se fabriquer eux-mêmes une vie bienheureuse, au lieu de la demander à Dieu, qui seul peut la donner. Celui-là seul qui a fait l’homme peut faire l’homme heureux. Augustin, dans cette lettre, touche légèrement à la question du pélagianisme, et parle de ces perçants et excellents génies tombés dans des erreurs d’autant plus grandes, qu’ils ont couru avec plus de confiance dans leurs forces. Il montre que le bonheur des républiques et le bonheur de l’homme reposent sur les mêmes conditions.

Les erreurs de Pélage et de Célestius prenaient racine partout où avaient passé les deux novateurs : Syracuse avait entendu des doctrines dont la piété chrétienne s’était étonnée, Augustin en fut informé par un laïque de cette ville, Hilaire, à qui sa foi et ses vertus donnaient sans doute quelque autorité parmi ses concitoyens, et qui peut-être avait vu le grand évêque ; Hilaire confia son message à des Africains qui partaient du port de Syracuse pour retourner à Hippone. Il demanda au pasteur illustre ce qu’il fallait penser de cette prétention nouvelle de pouvoir se conserver pur de toute souillure, d’observer aisément les commandements de Dieu sans le secours d’en-haut, et comment il fallait juger l’opinion qui niait le péché originel ; Hilaire priait aussi le saint évêque de dire s’il était vrai que les opulents de la terre ne pussent accomplir aucune œuvre utile au salut, tant qu’ils n’auraient pas distribué aux pauvres toutes leurs richesses. Le Syracusain posait d’autres questions pour lesquelles il implorait la grande lumière d’Hippone.

Augustin, dans une lettre[1] restée célèbre, répondit à tout, et nous l’analyserions en détail, si les principales preuves et les principaux raisonnements de l’épître à Hilaire ne se trouvaient dans les livres contre le pélagianisme dont nous nous sommes déjà occupé. En 415, la lettre à Hilaire reçut un double retentissement par la mention qu’en fit saint Jérôme dans son troisième livre contre les pélagiens, et par la lecture qu’en fit Orose[2] dans le concile de Diospolis. Augustin, dans cette lettre, nomme Célestius, dont il soupçonnait la présence au pays de Sicile, après avoir été accusé et confondu à Carthage. Quant à la question des riches, Augustin nous apprend que ce ne sont pas les trésors qui damnent, mais l’orgueil et le mauvais emploi de la fortune, la dureté envers les pauvres, la confiance dans les biens périssables. Vendre les biens qu’on a et les distribuer aux pauvres, c’est là une grande perfection, mais ce n’est pas une prescription évangélique ; ce que l’Évangile prescrit, c’est l’observation des commandements. Le mauvais riche ne fut pas condamné parce qu’il s’habillait de pourpre et de lin, mais parce qu’il s’était montré sans miséricorde envers Lazare, pauvre et couvert d’ulcères. Les chrétiens peuvent posséder des richesses, à condition qu’ils n’en seront jamais possédés. Augustin a quitté le monde entier pour Jésus-Christ, puisque, sans être riche, il a quitté tout ce qu’il avait ; mais il ne condamne pas ceux qui ne vont point jusque-là. Présenter comme un devoir absolu ce qui n’est qu’un conseil de perfection, ce serait, dit Augustin, combattre l’Écriture et non pas la prêcher.

Tout ce qui se disait et s’agitait, `toutes les pensées, les rêves même aboutissaient à l’évêque d’Hippone comme ambassadeur de la vérité universelle ; le monde lui demandait raison de chaque chose qui passait dans les intelligences ou les imaginations contemporaines. Évode, évêque d’Uzale, parle à Augustin d’un jeune homme, fils d’Armenus, prêtre de Mélone, qu’il s’était attaché en qualité de scribe, ou plutôt de sténographe[3], et qui avait quitté ce monde à l’âge de vingt-deux ans, avec des, témoignages d’une angélique piété. On chanta autour de son cercueil, pendant trois jours, des hymnes à la louange de Dieu, et le troisième jour on offrit pour le jeune mort le saint sacrifice de la messe[4]. Le deuxième jour qui suivit le trépas du fils d’Armenus ; une pieuse veuve du village de Figes vit en songe un diacre mort depuis quatre ans, préparant et ornant avec des vierges et des veuves un grand palais. — Pour qui prépare-t-on ce palais ? dit la veuve au diacre. — C’est pour le jeune fils d’Armenus, mort hier, répondit-il. — Dans le même palais, un vieillard vêtu de blanc ordonna à deux autres vieillards, vêtus aussi de blanc, d’aller tirer du sépulcre le corps du jeune homme et de le porter dans le ciel. La villa-

  1. Lettre 157.
  2. Apolog.
  3. Erat autem strenuus in notis. Ces notes étaient une ancienne manière d’écrire aussi rapide que la parole.
  4. C’est ici une des nombreuses preuves de l’antiquité des cérémonies catholiques pour les morts, cérémonies supprimées par les protestants.