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histoire de saint augustin.

qu’elles soient mères de famille[1]. » Le vigilant pontife met Juliana en garde contre ceux[2] qui commençaient à exalter la puissance de la liberté humaine aux dépens de la grâce ; il n’oublie pas Démétriade, la vierge illustre, et vante les lumières et la sainte expérience de Proba, à qui il avait écrit la lettre sur la prière.

Il arrivait souvent à l’évêque d’Hippone d’adresser des demandes en grâce en faveur des condamnés ; il avait souci de leurs intérêts immortels et se plaçait avec amour entre la loi et le coupable. Macédonius, vicaire d’Afrique, avait plus d’une fois accueilli les miséricordieuses sollicitations d’Augustin ; il lui écrivit un jour pour lui demander si le christianisme autorisait cette disposition épiscopale à laisser les crimes impunis. Augustin lui répondit[3] qu’on détestait le crime, mais qu’on avait pitié du criminel, et que si on s’efforçait d’obtenir l’impunité, c’était pour donner au coupable le temps de s’amender et d’entrer dans une meilleure vie. Il ne peut y avoir de repentir qu’en ce monde, et chacun, par delà le tombeau, demeure à jamais chargé de ce qu’il emporte de la vie présente. « L’amour que nous avons pour les hommes, disait le grand évêque, nous oblige d’intercéder en faveur dès criminels, de peur que du supplice qui finit avec leur vie ils ne tombent dans un supplice sans fin. » Lorsque ses prières avaient soustrait un coupable à la sévérité des lois, Augustin le soumettait à un régime de pénitence qui aboutissait à obtenir le pardon du maître de toute justice. Pourquoi les évêques n’auraient-ils pas intercédé pour les criminels auprès des juges, puisqu’ils intercèdent pour eux auprès de Dieu ? Nous proclamons l’utilité de là terreur des lois et des jugements, afin de réprimer la licence et de protéger les gens de bien ; mais ne serait-il pas permis de dire que la pénalité moderne ne porte pas un caractère assez chrétien ? En frappant le coupable, la législation actuelle ne s’inquiète que de la terre, de la société, du corps enfin, et pas du tout ou presque pas des destinées à venir et de la justice de Dieu. Notre pénalité semble régir une société de matérialistes. Nos mœurs sont trop peu chrétiennes, pour que nous sollicitions l’adoucissement des peines en vue d’une pénitence qui réconcilie ici-bas le coupable avec son Dieu ; mais si l’effrayant mystère de la peine de mort doit demeurer longtemps encore au milieu de nous comme une menace nécessaire, pourquoi, au lieu de précipiter l’exécution d’un arrêt terrible, ne s’écoulerait-il point, entre la condamnation et le moment suprême, un nombre de jours qui permît d’attendre un sincère repentir dans ces âmes qu’une longue habitude du crime a profondément séparées de Dieu ? Nous croyons qu’il y a quelque chose à faire pour mettre la justice humaine en complets rapports avec les destinées immortelles de l’homme, et nous recommandons à l’attention religieuse des législateurs la lettre de l’évêque d’Hippone à Macédonius, pleine de considérations élevées.

Dans cette même année (414), Macédonius, écrivant à Augustin, lui parle des premiers livres de la Cité de Dieu, qu’il venait de lire et dont il était ravi. Cet ouvrage, commencé en 413, ne fut achevé qu’en 426, et nous nous réservons d’apprécier ce beau et vaste monument, lorsque la marche de notre récit nous conduira à l’époque où nous pourrons en saisir et en contempler toutes les parties. L’impatience de ses contemporains arrachait à Augustin ses œuvres ; c’est ainsi qu’en 414 il avait été forcé de livrer la première partie de la Cité de Dieu.

« J’ai lu, écrit Macédonius à l’évêque d’Hippone, j’ai lu vos livres des trois premiers livres), car ce ne sont pas de ces œuvres languissantes et froides qui souffrent qu’on les quitte ; ils se sont emparés de moi ; m’ont enlevé à tout autre soin et m’ont si bien attaché à eux (Puisse Dieu m’être ainsi favorable !), que je ne sais ce que je dois le plus y admirer, ou la perfection du sacerdoce, ou les dogmes de la philosophie, ou la pleine connaissance de l’histoire, ou l’agrément de l’éloquence ; votre langage séduits ! fortement les ignorants eux-mêmes, qu’ils n’interrompent pas la lecture de vos livres avant de l’avoir achevée, et qu’après avoir fini ils recommencent encore. »

La réponse d’Augustin à cette lettre abonde en observations morales et en pensées profondes. Le goût des choses éternelles et l’amour de la vérité lui paraissent le plus sûr et le meilleur fondement de l’amitié. On trouve beaucoup de choses dans les écrits des philosophes, mais on n’y trouve pas la vraie piété, c’est-à-dire le

  1. Timoth. ch. V, 14.
  2. Quorumdam sermunculi.
  3. Lettre 153.