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histoire de saint augustin.

qui ne pouvait se faire à l’idée d’avoir désobligé ou affligé qui que ce fût, écrivit à Fortunatien, évêque de Sieca, pour obtenir son pardon auprès de l’évêque offensé. Fortunatien avait été un des sept pontifes qui, dans la célèbre conférence de Carthage, plaidèrent la cause de l’Église catholique. Augustin se repent donc, non pas des sentiments et des pensées qu’il a exprimés, mais d’un peu de dureté dans le langage. Cette dureté, du reste, n’était qu’une énergie d’expression pour tirer de l’erreur l’évêque qui paraissait incliner vers l’anthropomorphisme, c’est-à-dire la corporéité de Dieu. Les excuses d’Augustin sont pleines d’une touchante charité. Il aurait bien voulu aller chercher lui-même son pardon auprès de son collègue blessé ; mais il a craint que les explications verbales de deux pontifes catholiques ne réjouissent les hérétiques et ne fissent pleurer les fidèles. Dans sa lettre à Fortunatien, notre docteur insiste de nouveau sur l’invisibilité de Dieu, et cite saint Ambroise, saint Jérôme[1], saint Athanase. Il ne se prononce pas sur ce que pourra être la qualité spirituelle de nos corps après la résurrection. La lettre à Fortunatien reproduit plusieurs des fortes raisons que nous avons trouvées dans la lettre à Pauline.

Le livré sur la Foi et les œuvres est du commencement de l’année 413 ; c’est une réfutation de trois erreurs dont la première consistait à admettre indifféremment tout le monde au baptême, quand même on refuserait de changer de vie ; par la seconde erreur, on enseignait la foi du baptême sans parler en même temps des devoirs de la vie chrétienne ; on arrivait ainsi à la troisième erreur, qui promettait le salut éternel aux baptisés, lors même qu’ils auraient mené sur la terre des jours coupables. Le savant Garnier[2] a cru que ces trois erreurs étaient tirées des écrits de saint Jérôme ; les Bénédictins n’ont pas partagé son avis ; en étudiant les œuvres de saint Jérôme, ils n’ont découvert rien de pareil.

Dans le dialogue de saint Jérôme contre Pelage, et dans ses commentaires sur Isaïe, le docte solitaire de Bethléem semble admettre une sorte d’adoucissement aux supplices des chrétiens qui seront condamnés, mais nul passage de ses écrits n’offre les énormités justement condamnées par Augustin. Où serait le mérite, où serait la gloire des luttes victorieuses, s’il suffisait d’avoir reçu l’eau baptismale pour gagner l’impérissable couronne ? et que serait le christianisme, si l’eau de la régénération, tenant lieu de toute vertu, ouvrait le ciel au vice lui-même. Dans le livre De la foi et des œuvres, Augustin établit fortement par l’Écriture la loi du devoir et la nécessité des mérites personnels. La doctrine catholique est d’une frappante évidence sur ce point : « Si j’avais assez de foi, dit le grand Apôtre, pour transporter les montagnes et que je n’eusse point la charité, je ne serais rien[3]. » — « Mes frères, s’écriait saint Jacques, si quelqu’un dit avoir la foi, mais qu’il n’ait point les œuvres, que lui servira-t-il ? La foi toute seule pourra-t-elle jamais le sauver[4] ? » Si la foi sans les œuvres suffisait, il n’eût pas été vrai de dire que le royaume du ciel souffre violence[5]. L’Écriture ne condamne-t-elle pas les fontaines desséchées, les nuées sans eau ? Pour justifier l’admission au baptême des criminels sans repentir, nous répondra-t-on que les animaux immondes trouvèrent place dans l’arche de Noé ? Mais cette figure du passé hébraïque annonçait seulement que les méchants seraient tolérés au sein de l’Église.

L’année 413 apporta un grand chagrin à l’évêque d’Hippone. Ce fut au mois de septembre de cette année, la veille de la fête de saint Cyprien, que périt à Carthage le tribun Marcellin, l’ami d’Augustin, le protecteur des intérêts catholiques en Afrique. Héraclien, qui avait reçu le gouvernement de l’Afrique en échange de la tête de Stilicon, s’était révolté contre son maître Honorius ; vaincu en Italie parle comte Marin, il s’était sauvé vers l’Afrique sur un navire, dernier débris de sa fortune, et avait payé de la tête, à Carthage, sa rébellion. Les donatistes gardaient l’amer souvenir de leur condamnation à la conférence solennelle que présida Marcellin ; ils soufflèrent la calomnie sur le pieux tribun et sur son frère Apringius, qui, l’année précédente, avait été proconsul d’Afrique. Les deux frères se trouvèrent enveloppés dans une accusation de complicité avec Héraclien ; le comte Marin, gagné peut-être par l’or des donatistes[6], laissa la tempête s’amasser sur la tête de Marcellin. Les deux frères furent jetés dans une prison à Carthage. Cette mesure avait semé l’effroi dans la ville parmi

  1. Commentaires sur Isaïe, ch. I.
  2. Édit. des œuvres de Marius Mercator, part. I.
  3. Corinth., I, 13.
  4. Jacques III, 14.
  5. Matth. III, 12.
  6. Orose, livre VII, chap. 42.