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histoire de saint augustin.


CHAPITRE TRENTE-TROISIÈME.




Lettre à Pauline sur la vision de Dieu. — Lettre à Fortunatien. — Le livre de la foi et des œuvres. — Mort de Marcellin.

(413.)


Pauline, cette grande servante de Dieu, comme l’appelle Augustin, avait prié l’illustre évêque de lui écrire bien au long sur la question de savoir si Dieu peut être vu des yeux du corps ; Augustin, accablé de soins et d’affaires, et livré a des travaux graves dont il lui répugnait de se distraire, avait différé de répondre à la pieuse Romaine. Dès les premières pages de sa lettre, il fait entendre à Pauline qu’une vie pure en apprend plus sur les choses de Dieu que les plus éloquents discours ; il faut surtout ouvrir aux paroles de la sagesse le cœur de cet homme intérieur qui se renouvelle de jour en jour, pendant que l’homme extérieur périt d’heure en heure sous les coups de la pénitence, de la maladie ou du temps ; il faut ouvrir ce sanctuaire du cœur où Jésus-Christ habite par la foi, élever cette intelligence qui, se renouvelant par la connaissance de Dieu, exprime l’image du Créateur, cette partie de nous-mêmes selon laquelle il n’y a ni Juif, ni Gentil, ni affranchi, ni esclave, ni homme, ni femme : portion sublime par où Pauline n’a pas vieilli, quoiqu’elle soit chargée d’ans, et par où elle est sûre de ne pas mourir lorsque son âme se détachera de son corps. Ce que dira Augustin dans cette lettre, Pauline ne devra pas se faire une loi de le croire, uniquement parce qu’Augustin l’a dit : on ne doit se rendre qu’à l’autorité des Écritures dans les choses qu’on ne comprend pas, ou à la lumière intérieure de la vérité dans les choses qu’elle fait comprendre. Il y a dans ces paroles d’Augustin à la fois une grande modestie et un grand respect pour la liberté de la raison humaine.

Augustin parle de deux vues : celle du corps, par laquelle nous voyons le soleil et tous les objets sensibles ; celle de l’âme, par laquelle chacun voit intérieurement qu’il existe, qu’il est vivant, qu’il veut, qu’il cherche, qu’il sait ou qu’il ne sait pas. Cette définition de la vue de l’âme établit l’évidence intime comme base de certitude et renferme le fameux cogito de Descartes, dont les germes se retrouvent, ainsi que nous l’avons déjà plusieurs fois remarqué, dans l’ensemble des pensées philosophiques du grand évêque d’Hippone. Nous ne pouvons voir Dieu dans cette vie ni avec les yeux du corps ni avec les yeux de l’âme, mais nous savons qu’on peut voir Dieu par ces paroles de l’Ecriture : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu ! » Voilà un exemple de l’autorité des livres saints pour déterminer notre croyance. Dans tous les points où l’on n’est poussé à croire ni par les yeux de l’esprit ni par les yeux du corps, en l’absence du témoignage des livres canoniques, on est libre d’accorder ou de refuser son adhésion. Reste la foi de l’histoire, la foi du genre humain, indépendante du témoignage de nos sens et du témoignage de l’Écriture. C’est ainsi que nous savons la fondation de Rome par Romulus, la fondation de Constantinople par Constantin ; c’est ainsi que nous connaissons nos père et mère et nos aïeux. Ces diverses règles de certitude qu’Augustin donne à Pauline ont une grande valeur philosophique.

Après avoir montré la différence qu’il y a entre croire et voir des yeux de l’esprit, Augustin explique quelques apparentes contra dictions de l’Ecriture sur la vision de Dieu ; il cite un beau passage de saint Ambroise, tiré de son Traité de l’Évangile de saint Luc, et donne de ce passage de l’évêque de Milan un commentaire éloquent et profond, où son génie semble s’élever jusqu’aux splendeurs de l’essence divine. Il prouve par l’Évangile qu’on peut voir Dieu ; l’Évangile a dit : « Heureux