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histoire de saint augustin.

tiques. Les arminiens représentaient ce que nous appellerions aujourd’hui les amis de la liberté, et les gomaristes ce que nous appellerions les absolutistes. Maurice de Nassau personnifiait ce dernier parti, Barneveldt et Grotius personnifiaient le parti de l’indépendance. Cela prouve jusqu’à quel point la science théologique peut se rattacher à la science sociale, et combien nous avions raison, en commençant ce chapitre, de signaler la matière de la grâce comme féconde en déductions d’un intérêt positif et tout humain.

On sait le synode de Dordrecht de 1618, sorte de concile calviniste qui condamna les arminiens sans les convaincre. La guerre civile sortit d’une querelle théologique ; l’émancipation des peuples était cachée derrière la doctrine de la prédestination. L’arminianisme, qui a frappé à mort l’Église de Genève, tend à s’asseoir victorieusement sur les débris de toutes les sectes de la Réforme, parce que, selon la prédiction de Bossuet, le protestantisme, séparé de toute autorité, doit finir par une complète négation des dogmes de la foi chrétienne. Or l’ensemble des doctrines de l’arminianisme constitue, ainsi que nous l’avons déjà fait observer, un rationalisme pur. Ce n’est point ici le lieu de faire le procès au protestantisme, de prouver qu’il n’a rien conquis ni rien inventé au profit de la raison humaine, dont les droits et la gloire datent de plus loin que le seizième siècle ; qu’il n’a été d’aucun secours à la civilisation moderne, et qu’il a au contraire paralysé l’élan de la civilisation et retardé sa marche d’un siècle ou deux en brisant l’unité européenne, cette puissante unité par laquelle seule les destinées de la sociabilité chrétienne peuvent s’accomplir sous le soleil.

Nous revenons à saint Augustin en commençant l’examen du livre de l’Esprit et de la Lettre.

Nous avons précédemment analysé le traité des Mérites et de la Rémission des péchés, adressé à Marcellin. Dans le second livre de ce traité, l’évêque d’Hippone avait dit que, par la toute-puissance de Dieu, l’homme pouvait être exempt de péché, mais il avait nié que personne dans cette vie, à l’exception de Jésus-Christ et de sa mère, eût été sans péché ou dût être sans péché. Marcellin, étonné qu’on pût croire possible une chose sans exemple, en écrivit à Augustin, qui lui répondit par le livre de l’Esprit et de la Lettre. Le docteur expliquait le passage de saint Paul : La lettre tue et l’esprit vivifie[1]. Quelques souvenirs du langage évangélique viennent à son secours : nul chameau ne passa jamais par le trou d’une aiguille, et Jésus dit pourtant que cela est possible à Dieu ; le Sauveur, dans sa passion, déclara que douze millions d’anges pourraient, s’il voulait, accourir à son secours, et cependant ces douze mille légions ne sont jamais venues combattre sur la terre. Augustin ne considérerait pas comme une très-grave aberration de penser que des hommes aient vécu sans souillure ; il lui paraîtrait plus coupable de soutenir que la seule volonté humaine, sans l’assistance divine, puisse s’élever à la perfection de la justice. La connaissance de la loi, sans l’esprit qui vivifie, n’est qu’une lettre qui tue ; ses interdictions ne font qu’irriter le désir du mal, pareilles à la digue qui augmente le poids et la force de l’eau, de manière que l’eau, à force de s’amasser, monte par-dessus la digue et se précipite avec plus de violence. Augustin, commentant les paroles de l’Apôtre : La lettre tue et l’esprit vivifie, entend par la lettre, non pas : les cérémonies judaïques abolies par l’avènement du Sauveur, mais les préceptes même du Décalogue, quand l’Esprit divin ne verse pas dans l’âme la force et l’amour. Il distingue la loi des œuvres et la loi de la foi : l’une prescrit, l’autre donne la force ; la première est toute judaïque, la seconde est toute chrétienne. Ce ne sont point les bons enseignements, c’est la foi en Jésus-Christ qui justifie l’homme ; ce n’est point la loi des œuvres, c’est-à-dire la lettre, c’est la loi de la foi, c’est-à-dire l’esprit, qui produit la justification.

Le docteur poursuit sa comparaison entre l’Ancien Testament et l’Évangile de Jésus-Christ. La loi donnée aux Hébreux n’était gravée que sur des tables de pierre ; la loi donnée aux chrétiens par le Saint-Esprit, qui est nommé le doigt de Dieu, est gravée dans les cœurs ; la première était terreur ; la seconde est toute charité. C’est le développement de cette pensée de saint Paul aux Corinthiens[2] : « Vous êtes la lettre de Jésus-Christ dont nous n’avons été que les secrétaires, et qui a été écrite non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant ; non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair qui sont vos cœurs. » Augustin cite le passage du prophète Jérémie où Dieu promet de faire une alliance

  1. IIe Ép. Cor
  2. II, ch. 3.