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chapitre trente-deuxième.

ou les continuateurs de Pélage sont maintenant les sociniens et les arminiens, ces protestants de la dernière phase de la réforme, dont la théologie n’est qu’un pur rationalisme.

Pour compléter ces considérations rapides, nous définirons la prédestination, qui est une suite de la question de la grâce, et sur laquelle les théologiens ont si longuement et si vivement disserté. L’enseignement catholique comprend sous le nom de prédestination l’éternel et immuable décret par lequel Dieu appelle les élus à la grâce et à la gloire. Le décret de la prédestination, né de la divine miséricorde, laisse la volonté humaine dans une entière liberté ; nul ne sait, sans une révélation miraculeuse, s’il appartient au nombre des prédestinés ; ainsi donc chacun doit travailler pour obtenir l’éternel royaume. Le décret de la prédestination est-il absolu, gratuit, c’est-à-dire indépendant de toute prévision des mérites humains ? ou bien est-il conditionnel, c’est-à-dire soumis à la prévision des mérites de l’homme aidé de la grâce ? Voilà des questions qui agiteront longtemps les écoles. La première de ces deux opinions est soutenue par ceux qui font profession de suivre la doctrine de saint Augustin, et qu’on désigne sous les noms d’Augustiniens ou de thomistes ; la seconde opinion est celle des molinistes[1] qui prétendent s’appuyer aussi sur les vrais sentiments de l’évêque d’Hippone. Comme dans la matière de la grâce, Augustin est l’oracle de l’Église, chaque parti théologique invoque son autorité ; et comme dans une telle matière il était impossible que des obscurités et des équivoques ne se rencontrassent point dans les nombreux écrits du docteur africain, chacun a pu les appeler à son secours avec une apparence de raison.

C’est ainsi que l’hérésie elle-même a osé y chercher sa justification. Calvin et Théodore de Bèse invoquèrent le grand et saint génie d’Hippone, lorsque, par un abominable système, ils classaient le genre humain en deux parts, l’une nécessairement prédestinée au bonheur éternel, l’autre nécessairement prédestinée à l’enfer. Cet enseignement, fécond en exécrables tyrannies, est une des plus atroces horreurs qui soient sorties du cerveau de l’homme. L’auteur des Institutions chrétiennes, voulant donner à la réforme une organisation politique, organisait tout simplement la servitude et le désespoir : il valait bien la peine d’attaquer l’Église catholique au nom de la liberté pour jeter sur les épaules du monde réformé un manteau de mailles de fer ! La réforme luthérienne avait enfanté la liberté hollandaise ; la continuation calviniste donnait la main au despotisme des Pays-Bas. Le calvinisme, qui vivait d’intolérance et d’oppression, menaçait les luthériens, les sociniens et les anabaptistes. Il traquait tout ce qui présentait quelque doctrine de liberté.

Au commencement du dix-septième siècle, l’arminianisme, dont nous avons déjà parlé, sortit du milieu de la Hollande comme le cri de la conscience opprimée ; il annonça que Dieu voulait sauver tous les hommes, qu’il ne refusait à aucun d’eux les moyens de salut, et que les pécheurs seuls seraient punis. Gomar, professeur de théologie à Leyde, comme Arminius, se constitua le défenseur des idées de Calvin ; les gomaristes formaient deux partis, les supralapsaires et les infralapsaires ; ceux-là soutenaient que la prédestination à l’enfer avait été résolue avant même la prévision de la chute d’Adam ; ceux-ci faisaient dépendre le décret de réprobation de la prévision de la chute. Une remontrance, adressée en 1610 aux États de Hollande, valut aux arminiens le surnom de remontrants, et les gomaristes s’appelèrent alors contre-remontrants. Les questions de la grâce, de la prédestination et du libre arbitre, agitaient les esprits dans les Pays-Bas, et y occupaient la place qu’occupent maintenant au milieu de nous les questions poli-

  1. Molina, voulant défendre la liberté humaine contre les luthériens et les calvinistes, publia l’ouvrage intitulé De concordià, pour concilier la liberté avec la nécessité de la grâce. Il enseigna donc que la grâce ne faisait pas agir la volonté, établit le concours concomitant, et dit qu’il en doit être de la grâce et du libre arbitre comme de deux Gommes tirant une même barque sans se communiquer l’un à l’autre rien de leur force, sans priorité. On pense bien que nous ne voulons pas entrer dans les fameuses disputes entre les molinistes et les thomistes ; nous l’avouerons pourtant, Molina nous semble se rapprocher du semi-pélagianisme en avançant que le libre arbitre se détermine lui-même sans le secours de la grâce. D’un autre côté, la grâce efficace par elle-même ne rend pas facile à défendre l’intégrité de la liberté humaine. D’ailleurs les mots delectatio victrix qui représentaient la grâce efficace ne se trouvent qu’une seule fois dans saint Augustin ; c’est au deuxième livre, chapitre 19, De peccat. merit., et remiss. Fénelon était moliniste ; voir ses Lettres au P. Lami, bénédictin, sur la grâce et la prédestination. Nous avons sous les yeux une Défense de la grâce efficace, par de la Brouë, évêque de Mirepoix (1 vol. in-18, 1721), qui répond fort péremptoirement aux molinistes et à Fénelon au nom de saint Augustin et de saint Thomas. Le dominicain Massouillé, Bellarmin et Suarès, furent d’illustres défenseurs de la grâce efficace. Le système de Suarès appelé congruisme, fut une modification du système de Molina. Ant. Arnauld combattit le molinisme ; il nous suffira d’indiquer ses Écrits sur le système de la grâce générale, sa controverse sur ces questions avec Nicole. Le P. Thomassin, dans ses Mémoires sur la grâce, cherche, mais inutilement, à concilier toutes les opinions théologiques sur la question.