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histoire de saint augustin.

hauteurs des pensées éternelles pour prêter l’oreille aux bruits d’ici-bas La recherche des vérités divines, dit Possidius, les écrits sur les vérités trouvées, la correction de ses ouvrages, occupaient uniquement Augustin. Il travaillait le jour et méditait la nuit. Semblable à la sœur de Marthe, il demeurait aux pieds du Seigneur, l’oreille attentive à sa parole. Ce grand homme gardait son esprit entièrement libre de tout souci temporel. Quand l’Église manquait d’argent, il l’annonçait aux fidèles, leur disant : Je n’ai plus rien pour les pauvres. Il lui arriva de faire briser et fondre, pour les captifs et les indigents, les vases du service divin. Quelques censeurs le lui reprochaient, ce qui n’empêchait pas Augustin de regarder sa conduite en des cas pareils comme œuvre de justice. Il pouvait s’appuyer d’ailleurs sur l’imposante autorité de saint Ambroise. Empêcher les pauvres de mourir de faim, racheter les captifs, acheter des terres où puissent reposer les restes des chrétiens, voilà les trois cas pour lesquels l’évêque de Milan permet qu’on brise et qu’on fonde les vases sacrés. Saint Ambroise disait qu’il aimait mieux sauver au Seigneur des âmes que de l’or. « La parure de nos cérémonies, ajoutait-il, c’est le rachat des captifs ; les véritables vases précieux sont ceux qui délivrent les âmes de la mort ; le vrai trésor du Seigneur est celui qui opère ce qu’a opéré son propre sang. » Le Moyen Age catholique, aux jours du besoin, ne craignit pas de suivre les exemples d’Ambroise et d’Augustin. « Ô vanité des vanités ! » s’écriait une éloquente voix de cette époque ; « l’Église brille dans ses murailles, elle a besoin dans ses pauvres[1] ! »

Augustin, dont le bonheur était de penser, de méditer, de creuser les mystères du temps et de l’infini ; eût mieux trouvé sa place dans la solitude qu’au milieu des devoirs de l’épiscopat, et ces devoirs, pourtant, nul ne sut mieux les remplir ! Les hôtes pieux du désert lui faisaient envie. Lorsqu’il visitait des monastères, il parlait aux cénobites des félicités de leur vie, s’étendait avec complaisance sur la tranquille liberté de leur pensée, les invitait à persévérer, à ne pas se retourner comme l’épouse de Loth, à combattre jusqu’au bout sur la terre pour mériter la couronne des jours éternels. Le pontife d’Hippone nous a fait connaître lui-même son goût pour le travail des mains[2], et la joie qu’il aurait eue à partager sa vie entre les labeurs manuels et l’étude. Ce goût s’explique et caractérise, à notre avis, les génies simples et complets. Le travail des mains est l’exercice du corps, comme l’étude est l’exercice de l’intelligence : le corps a sa dette à payer comme l’esprit, et tous les deux : se délassent l’un par l’autre en remplissant alternativement leur destinée.

L’humilité d’Augustin prenait quelquefois : les formes les plus touchantes. Dans une de ses homélies[3], il conjurait les fidèles de lui pardonner si, au milieu des soins et des agitations de l’épiscopat, il avait montré quelque sévérité ou commis quelque injustice. « Souvent dans les lieux étroits, dit-il en termes charmants, la poule foule, mais non pas de tout le poids de son pied, ses petits qu’elle réchauffe, et ne cesse pas pour cela d’être mère. »

D’après cela, on ne s’étonne point que son auditoire ait été tant de fois attendri jusqu’aux larmes. Bien souvent Augustin lui-même laissait échapper des pleurs ; sa sensibilité était, extrême ; Dieu seul avait pu suffire à son immense besoin d’aimer. Les émotions naissaient dans son âme pour mille sujets qui trouvaient les autres hommes froids ou indifférents. On se rappelle les larmes d’Augustin au bruit du chant religieux dans la basilique de Milan. Un cœur merveilleusement tendre et une vive imagination concouraient à éveiller en lui des impressions infinies dont il était saisi jusqu’au fond des entrailles.

Voilà quelques traits de la physionomie morale du grand homme dont nous avons entrepris de suivre les traces sur la terre.

  1. Bernard, Apolog. à Guillaume, abbé.
  2. Serm. 339.
  3. Homél. 24.