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histoire de saint augustin.

meura dans la maison de l’évêque d’Hippone, pas même sa sueur, veuve consacrée à Dieu, et qui dirigea jusqu’à sa mort une communauté de religieuses ; il traita de la même manière ses nièces, qui avaient embrassé la vie monastique. Les décrets des conciles permettaient à Augustin d’avoir sous son toit sa sœur et ses nièces, et lui-même avouait qu’elles auraient pu rester chez lui sans éveiller la perversité humaine ; mais les visites des femmes du dehors, qu’elles n’eussent pu manquer de recevoir, auraient peut-être offensé les faibles. C’était toujours après de longues instances que des femmes obtenaient d’arriver auprès d’Augustin pour d’importantes affaires ; il ne les recevait qu’en présence de plusieurs clercs. L’évêque d’Hippone ne parla jamais à une femme sans témoin.

La chambre d’Augustin restait ouverte comme celle d’Ambroise ; elle était comme une image de son âme, toujours ouverte à ceux qui cherchaient la vérité ou des consolations. Quelquefois la profondeur de la méditation l’enlevait à la terre. La tête inclinée, il ne voyait et n’entendait plus rien autour de lui. Nous raconterons une anecdote[1] dont l’exactitude n’est pas incontestable, mais qui peint trop bien les mœurs du temps pour être écartée de ce travail. Une femme d’Hippone, faussement accusée, avait eu la pensée d’aller trouver le pontife ; après avoir franchi le seuil de la maison épiscopale, elle se rendit dans la chambre d’Augustin ; elle parut devant lui dans l’attitude du recueillement et du respect, et lui adressa quelques paroles pleines d’humilité. Augustin, plongé dans l’étude et la contemplation, ne répondit pas à la suppliante, et ne tourna pas même la tête ; la femme d’Hippone attribuait cette immobilité silencieuse à une pieuse réserve, et crut devoir déclarer à l’évêque le motif de la démarche qu’elle avait osé entreprendre ; mais l’évêque demeura muet. Sortie sans consolation de la maison épiscopale, la pauvre femme résolut de chercher Augustin à l’église, le lendemain ; à l’heure marquée, elle le vit à l’autel remplissant les fonctions sacrées, et assista au saint sacrifice avec une piété profonde. Au moment solennel de l’élévation, elle fut ravie en esprit devant le trône de l’adorable Trinité, et là elle reconnut Augustin, le front baissé et cherchant à sonder le mystère du Dieu en trois personnes ; une voix lui dit alors : Hier, quand tu as voulu consulter Augustin, il se trouvait enlevé dans la contemplation de la Trinité sainte ; tandis que tu lui parlais, son esprit était absent de sa chambre, voilà pourquoi il ne t’a pas répondu et ne s’est point aperçu de ta présence ; retourne chez lui et tu le trouveras bon et compatissant. — Ainsi parlait la voix du ciel, et la femme d’Hippone reprit bientôt le chemin de la maison épiscopale, d’où elle sortit consolée.

À l’exemple du grand Apôtre, Augustin ne visitait que les orphelins et les veuves livrées à la douleur. Il se rendait en toute hâte auprès des malades qui lui faisaient demander des prières ou l’imposition des mains. Il fallait d’urgentes nécessités pour qu’il se décidât à visiter des monastères de femmes. L’évêque d’Hippone recommandait comme excellentes les règles de saint Ambroise, pour la vie et les mœurs des prêtres. Il ne pensait pas qu’un prêtre dût se charger de négocier des mariages, de peur de l’exposer aux malédictions des époux, dans le cas où leur union ne serait pas heureuse. Selon lui, le prêtre ne devait engager personne au métier des armes, à cause des calamités de la guerre ; il ne devait pas accepter une place à des festins dans son pays, afin de mieux garder ses habitudes de tempérance. Il est une parole du grand évêque de Milan, que notre docteur rappelait souvent saint Ambroise approchait de sa fin ; des fidèles rassemblés autour de son lit, le voyant près de s’en aller à Dieu, pleuraient, gémissaient et demandaient au pontife mourant d’implorer lui-même du Seigneur une prolongation de ses jours ; Ambroise leur répondit : « Je n’ai point vécu de telle sorte que j’aie honte de rester au milieu de vous ; mais je ne crains pas de mourir, parce que nous avons un bon maître. » Notre Augustin, devenu vieux, dit Possidius, admirait et louait ces paroles limées et pesées : elimata et librata. Il citait aussi un autre mot d’un évêque de ses amis, à qui il restait peu de temps à vivre. L’évêque malade lui avait fait signe de la main qu’il allait sortir de ce monde ; Augustin lui répondit qu’il pouvait vivre encore : « Si je ne devais jamais mourir, ce serait bien, lui répliqua le pontife malade ; mais puisqu’il faut mourir, pourquoi pas maintenant[2] ? »

  1. Vie de saint Augustin, par Lancilot.
  2. Si nunquam, bene ; si aliquando, quare non modo ? Possidius, Vit. S. August.