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chapitre trentième.

type convenu, si nous n’y trouvions point ce que nous cherchons dans un portrait d’Augustin.

Nous avons trop longtemps vécu par l’intelligence avec le pontife d’Hippone pour ne pas lui avoir donné une figure. Il nous est donc souvent apparu avec la robe noire et le capuchon des cénobites d’Orient, la tête rasée en couronne à la manière des moines, et portant une longue barbe comme les religieux d’Asie ; les rides qui avaient été creusées de bonne heure sur son large front attestaient les méditations profondes ; le feu du génie, tempéré par une expression de bonté, étincelait dans ses yeux ; la bienveillance la plus tendre adoucissait l’âpreté de sa figure africaine, qui offrait un constant mélange de douceur, de gravité et de recueillement. Augustin devait avoir de la maigreur dans les traits, car il fut délicat toute sa vie ; l’ardente continuité du travail semblait soutenir la fragilité de ses jours.

Possidius nous apprend que les vêtements, la chaussure et le lit d’Augustin n’étaient ni trop soignés ni trop négligés[1] ; l’évêque d’Hippone, ajoute le pieux biographe, tenait le milieu, ne penchant ni à droite ni à gauche. On avait dit la même chose de saint Cyprien. Cette manière de vivre était conforme aux idées de l’illustre solitaire de Bethléem ; dans sa lettre à Nepotianus, si remplie d’excellents conseils pour les moines et les clercs, saint Jérôme disait : « Évite de porter les habits sombres comme des habits éclatants ; il faut éviter également la parure et la saleté, parce que l’une sent la mollesse, l’autre la vaine gloire. Ce qui est louable, ce n’est pas d’aller sans vêtements de lin, c’est de ne pas avoir de quoi en payer le prix. » Saint Honorat, le fondateur du monastère de Lérins, recommandait le même milieu dans l’usage des choses humaines. Les fidèles d’Hippone offraient à leur évêque des vêtements plus riches que ses vêtements ordinaires ; le pontife refusait de les porter, et annonçait en chaire que toutes les fois qu’il recevrait des dons semblables, il les vendrait au profit des pauvres. Il ne voulait accepter que ce qui pouvait servir à tous ses frères de la communauté ; il ne souffrait pas que son costume différât de celui d’un simple prêtre, d’un diacre et d’un sous-diacre. « Peut-être, disait-il dans ses sermons, est-il permis à un évêque de porter un vêtement de prix, mais cela ne convient point à Augustin, qui est pauvre et né de parents pauvres. Voulez-vous qu’on dise que j’ai trouvé dans l’Église le moyen de me vêtir plus richement que je n’aurais pu le faire chez mon père ou dans ma vie du siècle ? cela me couvrirait de honte… Si l’on souhaite que je porte les vêtements qui me sont donnés, donnez-m’en qui ne me fassent point rougir ; je vous l’avoue, un habit précieux me fait rougir ; il ne convient pas à mon état, à l’obligation que j’ai de prêcher, il ne convient pas à un corps cassé de vieillesse, et à ces cheveux blancs que vous me voyez. »

Une vierge nommée Sapida avait fait de ses mains une tunique pour son frère Timothée, diacre de l’Église de Carthage. Timothée était mort sans avoir pu se servir de ce vêtement. Sapida livrée à la douleur, souhaita comme sa meilleure consolation que le vénérable Augustin daignât accepter et porter la tunique destinée à son frère. Le saint ami de Dieu se rendit aux veaux de la vierge africaine ; mais, dans la touchante lettre[2] qu’il écrivit à Sapida, il l’engageait à demander aux livres saints et à la foi chrétienne des consolations plus efficaces pour dissiper les nuages de la tristesse, dont l’infirmité humaine avait rempli son cœur.

Augustin, par-dessus le linge et la tunique de laine, portait un vêtement qu’il appelle birrhus, et qui était une sorte de manteau. L’évêque d’Hippone, comme tous les frères de sa communauté, se lavait le visage tous les jours.

La maison épiscopale d’Hippone était comme un monastère où des clercs vivaient avec le même costume, la même loi, les mêmes revenus.

On ne pouvait, sans renoncement à tout bien, trouver place dans la communauté ecclésiastique. Il arriva qu’un prêtre de la communauté, appelé Janvier, révéla à son lit de mort une violation de cette loi de la pauvreté ; il avait mis de côté une somme d’argent, tout en vivant dans la communauté d’Augustin ; près de quitter la terre, Janvier voulut faire l’Église d’Hippone héritière de son petit trésor ; mais Augustin refusa le legs. Il prononça à cette occasion deux sermons[3] fort curieux sur la

  1. Nec nitida nimium nec abjecta plurimum.
  2. Cette lettre est de selles dont la date n’est pas connue ; c’est la 263e dans l’édition des Bénédictins. Cette lettre est pleine de consolations religieuses pour ceux dont l’âme est en deuil par les coups de la mort.
  3. serm. 355 et 356.