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histoire de saint augustin.

plaidez, leur dit-il, une mauvaise cause, et vous la perdriez même devant moi. » Augustin ne veut pas que ses meilleurs amis le prennent pour autre chose que ce qu’il est aimer ce qu’il n’est pas, ce serait aimer un autre homme sous son nom. Le plus éloquent des Romains a dit de quelqu’un, qu’il ne lui était jamais échappé un seul mot qu’il eût voulu n’avoir pas dit. Augustin fait observer que cela pouvait se dire plutôt d’un fou achevé que d’un sage, quelque sage qu’il pût être. Un repentir suppose du sens et du jugement, et la cervelle des fous est trop renversée pour qu’il puisse y avoir un regret. Le mot de Cicéron ne saurait convenir qu’aux hommes par la bouche de qui l’esprit divin a parlé. Ce qui donnerait de l’autorité à un écrivain, ce ne serait pas de ne vouloir rien changer dans ses ouvrages, mais ce serait de n’y avoir rien mis que l’on dût changer. Il faut se corriger de bonne foi, lorsqu’on n’a pas su s’élever à cette perfection. Augustin nous dit qu’il connaît mieux que ses ennemis les choses sur lesquelles on pourrait le reprendre. Il répète que le mot de Cicéron cité plus haut ne lui convient pas, et ajoute qu’un autre mot lui revient sans cesse et le tourmente, c’est la pensée d’Horace : Une parole lâchée ne se retient plus.

Cette peur de l’inexactitude, cette défiance de lui-même, l’empêchaient de publier deux importants ouvrages auxquels il travaillait depuis plusieurs années : les livres de la Genèse et les livres de la Trinité. Des questions très-difficiles s’offraient à l’évêque d’Hippone dans ces sujets si élevés : il revoyait assidûment les deux ouvrages, s’efforçant de diminuer le nombre des fautes. Les amis qui regrettaient ces retards craignaient que l’illustre pontife ne quittât ce monde avant l’apparition des livres de la Genèse et de la Trinité ; ils désiraient que ces travaux fussent publiés du vivant d’Augustin, pour qu’il répondît lui-même aux attaques qui pourraient s’élever. En vue de ces attaques, Augustin aimerait mieux qu’on l’exhortât à corriger avec soin ces deux ouvrages qu’à se hâter de les donner. Il veut être le premier et le plus sévère de ses censeurs, et ne veut laisser à reprendre dans ses ouvrages que les fautes qui lui auront échappé après un long et attentif examen. L’évêque d’Hippone dit ailleurs dans cette lettre : « Mes livres sont entre les mains de trop de gens pour les pouvoir corriger ; mais tant que je vivrai,

je suis en état de me corriger moi-même. » Il faut que l’orgueil soit quelque chose de bien contraire à l’ordre moral, pour que l’humilité d’un beau génie devienne un si grand spectacle aux yeux des hommes !

Le retour de la moitié de l’Afrique chrétienne à l’unité catholique était une très-grande affaire. Augustin recherchait toutes les occasions d’achever cette œuvre immense. Quand il allait dans une ville encore attachée au donatisme, il cherchait à s’entretenir avec les chefs du parti et à faire entendre aux populations de salutaires paroles. C’est ainsi que les donatistes de Cirta ou Constantine reçurent une impression profonde d’une visite du grand docteur ; peu de temps après son départ de cette ville, il apprit par une lettre solennelle les fruits heureux produits par ses exhortations ; la population schismatique de Constantine était revenue à la foi catholique : on en rapportait la gloire à Augustin. Il écrivit (412) aux très-honorables seigneurs de tous les ordres de la ville de Cirta, pour leur dire que cette conversion d’une grande multitude était l’ouvrage de Dieu et non pas l’ouvrage des hommes. Quoique ce retour ait été accompli par celui qui fait seul des œuvres merveilleuses[1], Augustin exprime le désir d’aller visiter les nouveaux catholiques. La lettre de Constantine rappelait l’exemple de Polémon, tiré de la débauche par un discours de Xénocrate sur la tempérance. Augustin répond que ce fut Dieu même qui inspira la bonne résolution de Polémon. Si la beauté, la force, la santé viennent de Dieu, à plus forte raison devons-nous le regarder comme l’auteur des biens de l’intelligence qui sont des biens supérieurs. Nous lisons dans le livre de la Sagesse que la continence est un don de Dieu ; pour savoir même que ce don vient d’en-haut, il faut être éclairé d’un rayon de la sagesse éternelle.. Augustin veut donc que grâces soient rendues à Dieu seul pour la conversion de Constantine. Ainsi ce grand homme repoussait la gloire de ses œuvres et montrait sans cesse du doigt le dispensateur éternel de tous les biens.

Lorsque Augustin fit à Constantine ce voyage si fécond en bons résultats religieux, ce n’était pas la première fois qu’il visitait cette ville, Les chemins d’Hippone à Cirta l’avaient vu assez souvent. Il trouvait dans l’énergie de sa charité les forces que lui refusait une santé

  1. Ps. LXXI, 18.