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chapitre vingt-neuvième.

enfants eussent besoin de devenir chrétiens. Mais les adversaires admettaient la nécessité du baptême pour devenir membre de Jésus-Christ ; si donc ils confessent qu’on n’est pas chrétien par le seul fait qu’on naît de parents chrétiens, ils doivent confesser aussi qu’on n’est pas, pur par le seul fait qu’on naît de parents purifiés par le baptême. Pourquoi, ajoute Augustin, ne naît-on pas chrétien avec des parents chrétiens ? c’est que ce n’est pas la génération, mais la régénération qui fait les chrétiens : de même, tous sont pécheurs en naissant, et tous, en renaissant, deviennent purs. C’est ainsi que les parents, purifiés du péché originel, peuvent transmettre ce qu’ils n’ont pas. Augustin nous met en face du mystère, nous conduit jusqu’à une certaine profondeur, et puis, quand l’obscurité devient impénétrable, il nous invite à nous ressouvenir que nous ne sommes que des hommes[1].

Des hérétiques ont soutenu qu’Augustin avait enseigné la nécessité de l’eucharistie égale à celle du baptême ; par suite de cette prétendue doctrine qu’on disait être celle de toute l’antiquité ecclésiastique, les Bohémiens proclamèrent la nécessité de communier les petits enfants. Ils furent condamnés par le concile de Bâle. Une décision semblable sortit du concile de Trente, qui, en parlant de la coutume ancienne de donner la communion aux petits enfants, déclare « que comme les Pères ont eu de bonnes raisons de faire ce qu’ils ont fait, aussi faut-il croire sans aucun doute qu’ils ne l’ont fait par aucune nécessité de salut. » S’il se rencontre des passages d’Augustin dont on a pu abuser, il en est de nombreux et de formels qui attestent que le baptême suffit pour le salut. En lisant les trois livres Des Mérites et de la Rémission des péchés, nous étions frappé des témoignages de la vraie doctrine de l’évêque d’Hippone ; nous voyions en beaucoup d’endroits que le baptême place les enfants au nombre des croyants[2], qu’on ne fait autre chose dans le baptême des enfants que de les incorporer à l’Église, c’est-à-dire de les unir au corps et aux membres du Christ[3].

Ceux qui ont essayé d’attaquer la tradition de l’Église ont beaucoup parlé de la prétendue erreur de l’antiquité sur la nécessité de communier les petits enfants : Bossuet a victorieusement démontré que toute la théologie de saint Augustin dont s’armaient les ennemis de l’Église concourt avec celle de saint Fulgence, son disciple, à nier dans l’eucharistie une nécessité égale à celle du baptême[4].

Nous ne craignons pas d’entrer dans les détails les plus sérieux de la science chrétienne ; notre siècle, au milieu des merveilles de son génie, est assez ignorant en religion. Le dix-septième siècle s’est montré sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, bien plus fort que nous. Sous Louis XIV, la France n’était pas sevrée de gloire, et l’intelligence ne se croyait pas déshonorée par l’étude des matières religieuses : les gens du monde connaissaient les Pères de l’Église ; le gentilhomme et la grande dame suivaient des discussions auxquelles presque tous nos salons ne comprendraient rien aujourd’hui. De nos jours, la politique a pris dans notre société la place qu’y occupait la religion ; elle nous a fait des mœurs où l’élévation du cœur et de la pensée a bien de la peine à se faire jour. Il y a dans les paisibles discussions religieuses une grandeur morale que n’ont pas les autres discussions ; Dieu, l’infini, l’âme humaine dans ses élans vers le ciel, les bases du christianisme qui répondent au monde moral tout entier, les raisons de notre foi, ce sont là de nobles sujets d’entretiens et de disputes. Pour causer de religion, il faut être instruit ; pour causer politique, il suffit d’avoir lu le journal du matin : ceci pourrait expliquer le triomphe de la politique au milieu de nous. Nous ne désirons point que le citoyen demeure indifférent aux destinées de son pays : malheur aux nations chez qui mourrait le patriotisme ! mais nous voudrions que la société française, par un retour qui ne serait pas une décadence, s’appliquât, comme au grand siècle, à ces hautes et belles matières qu’on ne néglige pas sans se diminuer soi-même. Les discussions politiques, toujours présentes dans nos salons et à nos foyers, nous apparaissent comme ces vents du midi qui atteignent la pureté de l’air, brûlent les fleurs et dessèchent les courants d’eau vive. Nous aimerions que l’Histoire de saint Augustin pût contribuer à ramener dans notre pays le goût des études religieuses, de ces études qui épurent le

  1. Nos homines esse meminerimus.
  2. Unde coguntur parvulos baptizatos in credentium numero deputare.
  3. Nihil agitur aliud, cum parvuli baptizantur, nisi ut incorporentur Eeclesiae id est Christi corpori membrisque socientur. Lib. III.
  4. Déf. de la tract. et des saints Pères.