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histoire de saint augustin.

qui établissent le dogme du péché originel. Entre chrétiens, ces preuves-là sont sans réplique. Augustin parle à Marcellin d’une épître de saint Cyprien sur le baptême des enfants[1], qu’il peut lire s’il veut, et qu’il ne manquera pas de trouver à Carthage où résidait le noble ami de l’évêque d’Hippone. Dans cette épître, l’illustre pontife de Carthage s’opposait à ce qu’on ne baptisât les enfants que le huitième jour de leur naissance, en mémoire de l’antique loi de la circoncision ; son opinion et celle de tous ses collègues dans l’épiscopat, exprimées dans un concile, ne prescrivaient aucun délai pour le baptême des enfants ; le concile jugeait qu’on ne devait refuser à aucun nouveau-né la grâce et la miséricorde de Dieu. Le Seigneur a dit dans son Évangile : « Le fils de l’homme n’est pas venu perdre les âmes des hommes, mais les sauver. Autant qu’il est en nous, s’écrie Cyprien, il ne faut laisser perdre aucune âme, si c’est possible. » Il résulte de ces derniers mots que, selon le sentiment du grand Cyprien et des autres évêques, il serait funeste et mortel, non-seulement pour la chair, mais pour l’âme même d’un enfant, de sortir de ce monde sans le sacrement du baptême. C’est donc l’âme qui se trouve atteinte par l’effet de la rébellion primitive.

Augustin invoque l’opinion de saint Jérôme dont il prononce le nom avec de grandes louanges ; le solitaire de Bethléem, dans son Commentaire sur Jonas, en parlant du jeûne imposé à tous les habitants de Ninive, même aux enfants, disait : « Nul homme n’est sans péché, quand même sa vie ne serait que d’un jour. Si les étoiles ne sont pas pures devant Dieu, combien moins le seront le ver et la pourriture[2], et ceux qui demeurent enchaînés au péché d’Adam ! » Si nous pouvions interroger ce savant homme, ajoutait Augustin, que d’écrivains et d’interprètes des livres sacrés il nous citerait, qui ont professé sur ce point le même sentiment ! Ils l’avaient reçu des Pères et l’ont transmis à la postérité !

« Moi-même, poursuit l’évêque d’Hippone, quoique j’aie beaucoup moins lu que ce grand homme, je ne me souviens pas d’avoir entendu des chrétiens exprimer un sentiment contraire, non-seulement dans l’Église catholique, mais encore dans quelque hérésie, dans quelque schisme que ce soit ; je ne me souviens pas d’avoir lu autre chose dans ceux qui suivaient les Écritures canoniques, qui pensaient ou qui voulaient les suivre. Je ne sais donc pas d’où a pu sortir tout à coup cette erreur. Il n’y a pas longtemps pendant que j’étais à Carthage[3], j’avais entendu quelques mots en l’air sur ce que les enfants n’étaient pas baptisés pour obtenir la rémission des péchés, mais pour être sanctifiés en Christ. Je crus devoir ne rien dire, et ce n’est pas sur cela que se portait alors ma sollicitude ; je mis ces choses au nombre de ce qui est fini et mort. Et voilà qu’aujourd’hui on les défend avec chaleur contre l’Église, voilà qu’on les recommande à la mémoire par des écrits, voilà a enfin qu’elles sont devenues un sujet de discussion, à tel point que nos frères nous consultent, et que nous sommes forcés de disputer et d’écrire ! »

Ce curieux passage exprime bien la naissance d’une opinion nouvelle, à laquelle d’abord on prend à peine garde, qui grandit et monte peu à peu, et qu’il faut enfin sérieusement combattre. Ces quelques mots de pélagianisme qui avaient frappé, en courant, l’oreille d’Augustin à Carthage, au milieu des apprêts de la solennelle conférence avec les donatistes, devaient fournir le sujet des grandes luttes de l’évêque d’Hippone jusqu’à sa mort !

Après avoir parlé de Jovinien, qui, au milieu de ses erreurs, avait maintenu le dogme du péché originel, Augustin reproduit cette objection de Pélage : « Si le baptême efface l’ancienne faute, ceux qui naissent d’un père et d’une mère baptisés doivent être affranchis de cette faute : un père et une mère baptisés n’ont pas pu transmettre à leurs enfants ce qu’ils n’avaient pas. » Le grand docteur prie ceux qui font cette objection de lui expliquer comment il se fait que les fils des circoncis naissent avec le prépuce, comment il se fait encore que la paille séparée du bon grain avec tant de soin demeure dans le fruit né du pur froment. Les partisans de cette idée pourraient soutenir de la même manière qu’il suffit, pour être chrétien, de naître de parents chrétiens ; ils ne devraient pas croire que les

  1. De baptizandis parvulis.
  2. Job, chap. XXV, 5, 6.
  3. Probablement en 411, à l’époque de la conférence avec les donatistes.