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chapitre premier.

ciaire, le proconsul le détourna de cette étude comme d’une occupation indigne de son esprit. Le vieux proconsul s’y était jadis appliqué ; il avait ensuite repoussé l’astrologie avec dégoût, parce qu’elle ne lui avait offert qu’un amas d’impostures. Il attribuait le succès de quelques-unes des prédictions des astrologues à la puissance du hasard, puissance qu’il supposait répandue dans toutes les parties de la nature. Une comparaison ingénieuse lui servait à mieux expliquer sa pensée.

« Puisqu’il arrive souvent, disait Vindicien, qu’en ouvrant à l’aventure le livre d’un poète avec l’intention d’y trouver quelque lumière dont on a besoin, on tombe sur tel vers qui s’accorde merveilleusement avec ce que l’on y cherche, bien qu’en le composant ce poète eût, sans doute, tout autre chose dans l’esprit, il ne faut pas s’étonner si, poussé par quelque instinct secret qui le maîtrise et sans même savoir ce qui se passe en lui, par pur hasard enfin et non par sa propre science, les réponses d’un homme s’accordent quelquefois avec les actions et les aventures d’un autre homme qui vient l’interroger. »

L’opinion de Vindicien donna beaucoup à penser à Augustin. Mais ce qui acheva de discréditer l’astrologie dans son esprit, ce fut un entretien avec un de ses amis appelé Firmin, dont le père avait été fort enclin à cette étude. Firmin lui apprit que lui et le fils d’une servante d’un ami de son père étaient nés dans le même moment, et, par conséquent, sous le regard des mêmes planètes ; l’horoscope des deux nouveau-nés ne pouvait qu’être absolument le même ; et pourtant l’un, Firmin, avait été appelé aux charges les plus honorables, et l’autre traînait péniblement ses jours dans la plus grossière condition ! Ce trait parut à Augustin un argument sans réplique contre l’astrologie. Il y avait à Carthage un devin nommé Albicère, dont les réponses, pleines d’une surprenante vérité, confondaient l’intelligence d’Augustin. Celui-ci, ayant perdu une cuiller, s’amusa à faire consulter Albicère, qui découvrit aussitôt à qui appartenait la cuiller et en quel endroit elle était cachée. « Dites-moi à quoi je pense ? » demanda un jour au devin un disciple de notre professeur. « À un vers de Virgile, » répondit Albicère, qui récita le vers. Il ne s’était pas trompé.

En 380 ou 381, de longues réflexions sur l’union harmonieuse des parties et sur l’accord qui s’établit entre un corps et un autre corps, amenèrent Augustin à composer deux ou trois livres sur la Beauté et la Convenance. « Vous en savez au juste le nombre, ô mon Dieu ? s’écrie saint Augustin dans ses Confessions[1] ; pour moi, je l’ai oublié, n’ayant plus cet ouvrage, et ne sachant plus même comment je l’ai perdu. » Cet ouvrage était dédié à Hiérius, orateur établi à Rome et originaire de Syrie, qu’il n’avait jamais vu.

Les erreurs d’Augustin se prolongèrent par l’absence d’hommes supérieurs qui pussent parler fortement à son esprit et lui montrer, avec la double autorité de la science et du génie, de quel côté se trouvait la vérité. Personne à Carthage ne l’égalait en pénétration. Ce jeune homme qui, à vingt ans, avait compris tout seul et à la simple lecture les catégories d’Aristote, qui, sans le secours d’aucun maître, avait appris la géométrie, l’arithmétique, la musique, et deviné l’art de l’éloquence[2], triomphait sans peine chaque fois qu’une dispute philosophique ou religieuse s’engageait ; de faciles victoires enflaient son cœur au lieu de l’éclairer. Augustin, dans les derniers temps de son séjour à Carthage, nous apparaît comme un jeune mendiant affamé de vérité, et nul n’est assez riche en Afrique pour faire magnifiquement l’aumône à son intelligence. S’il eût vécu dans le siècle précédent, au temps du grand Cyprien, les jours mauvais de sa vie eussent été abrégés ; mais plus le détour fut laborieux et long, plus l’arrivée à la foi fut éclatante, et c’est précisément parce que l’Église d’Afrique manquait alors de grandes lumières, que Dieu lui réservait Augustin.

D’un autre côté, le manichéisme n’était représenté par aucun homme fort ; cette circonstance, qui réduisait les doctrines persanes à leur propre valeur, devait favoriser le retour d’Augustin à la vérité religieuse. Les plus mauvaises doctrines reçoivent un certain prestige de la puissance du talent qui s’attache à leur défense ; ce prestige manquait alors au manichéisme. On avait beaucoup vanté à Augustin un certain évêque manichéen, Fauste de Milève, en Numidie ; à chaque doute qui traversait l’esprit du professeur de rhétorique de Carthage, à chaque difficulté qu’il élevait contre leur système, les sectaires le renvoyaient à

  1. Livre IV, chap. 13.
  2. Les sciences manquaient à son esprit, plutôt que son esprit aux sciences ; et dans la facilité qu’il avait à les apprendre, on eût dit qu’il les inventait. Fléchier, Panég. de saint Augustin.