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chapitre vingt-neuvième.

la faute d’Adam, père de la mort, la mort est restée sur la terre.

Dans les deux livres de ce traité, Augustin ne prononçait ni le nom de Célestius ni le nom de Pélage. Peu de temps après qu’il eut achevé ce travail, les Commentaires de Pélage sur les Épîtres de saint Paul lui tombèrent entre les mains. Parvenu à l’endroit où le grand Apôtre dit que le péché et la mort sont entrés dans le monde par un seul homme, et qu’ils sont devenus le partage de tous les hommes, le commentateur breton ne reconnaissait point chez les enfants le péché originel. Augustin écrivit à Marcellin pour réfuter cette énormité ; sa lettre forme le troisième livre du traité Des Mérites et de la Rémission des péchés. L’évêque d’Hippone ne connaissait alors Pélage que par la première renommée qu’il s’était faite à Rome ; il mêle à son nom quelques louanges. Il l’appelle un saint homme, d’après ce qu’il a entendu dire, un chrétien qui n’est pas peu avancé[1].

« Ceux qui sont contre la souche du péché, disait Pélage, s’efforcent de la combattre de cette manière : si, disent-ils, le péché d’Adam a nui à ceux qui ne pèchent pas, la justice du Christ doit servir aussi à ceux qui ne croient pas. » C’est ainsi qu’on arrivait à nier le péché originel, sans lequel l’édifice du christianisme s’écroule. Augustin demande à ses adversaires à quoi sert, selon leur opinion, la justice du Christ aux enfants baptisés ; pour peu qu’ils soient chrétiens, ils ne peuvent nier qu’elle ne serve à quelque chose. Ils sont forcés de convenir que le baptême fait passer les enfants au nombre des croyants, et ne peuvent méconnaître sur ce point le sentiment universel de l’Église. « De même donc, dit Augustin, que l’esprit de justice de ceux par lesquels les enfants renaissent leur communique la foi, qu’ils n’ont pu avoir encore de leur volonté propre, de même la chair du péché de ceux par lesquels ils naissent leur communique une faute qu’ils n’ont pu contracter dans leur propre vie. Et comme l’esprit de vie les régénère fidèles en Christ, ainsi le corps de mort les avait engendrés pécheurs en Adam. Cette génération-ci est charnelle, celle-là est spirituelle ; l’une fait fils de la chair, l’autre fils de l’esprit ; la première, fils de la mort, la seconde, fils de la résurrection, etc. » Cette distinction nous donne la clef de tout le mystère de la foi chrétienne. Les pélagiens soutenaient, d’un côté, que la justice du Christ ne sert de rien quand on ne croit pas, et, de l’autre, avouaient que le baptême sert de quelque chose aux enfants. Ou ce dernier aveu n’a pas de sens, ou le baptême, selon même les pélagiens, constituait les enfants au nombre des croyants. Il n’était donc pas nécessaire d’avoir la foi de sa volonté propre pour participer à la justice de Jésus-Christ.

L’évêque d’Hippone renvoie à ses deux livres précédents pour la réponse aux autres insinuations de Pélage contre le péché originel. « Si quelques-uns, dit le docteur, jugent ce travail trop court et trop obscur, qu’ils s’arrangent avec ceux qui le jugent trop long ; et s’il en est qui ne comprennent pas ces choses que je trouve dites avec clarté pour la nature des questions, qu’ils n’accusent ni ma négligence, ni là pauvreté de mon esprit, mais plutôt qu’ils prient Dieu de leur en donner l’intelligence. » Augustin était le plus humble des hommes, et nul sentiment d’orgueil n’avait inspiré ces paroles ; le grand docteur recommandait tout simplement la prière à défaut de pénétration.

Pélage, dans son Commentaire de saint Paul, avait laissé des traces de son astucieux génie. Pour échapper à la responsabilité de ses doctrines et aussi pour tromper les catholiques sur sa foi, il exposait les erreurs nouvelles comme des bruits qu’il avait recueillis, et non pas comme des sentiments personnels. Aussi Augustin ne croit pas que le moine breton partage des opinions si contraires à la vérité évangélique ; il continue à l’appeler un homme bon et louable[2], un chrétien éminent[3]. L’évêque d’Hippone suppose que Pélage a reproduit ces idées pour solliciter des réponses contre elles, pour ouvrir la discussion sur ces points. Il cite une objection tirée de l’origine de l’âme, grande question dont la solution est restée incertaine : si la chair seule et non point l’âme se transmet depuis Adam, la chair seulement mérite la peine, car il serait injuste de dire qu’une âme née aujourd’hui, et point du tout née d’Adam, porte le poids d’un aussi ancien péché qui lui est étranger !

Cette subtilité, quand même elle serait irréfutable en elle-même, s’évanouirait aux yeux d’Augustin devant les témoignages si évidents, si nombreux, des Évangiles et des apôtres

  1. Viri, ut audio, sancti, et non parvo provectu christiani. Chap. 1.
  2. Bonum ac praedicandum virum.
  3. Vir ille tam egregie christianus.