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chapitre vingt-neuvième.

péché ; mais Augustin répond qu’il s’agit de la mort du corps, car Dieu dit à l’homme coupable : « Tu es terre, et tu iras en terre[1]. » Ce n’est pas l’âme qui peut s’appeler poussière. Si le premier homme était demeuré fidèle, il eût gardé son corps, mais ce corps aurait été revêtu d’immortalité ; il n’aurait pas eu besoin de passer par la mort pour parvenir à l’heureuse incorruptibilité promise aux saints. Il ne faut pas croire qu’à force de vivre, ce corps, fait de terre, eût subi l’atteinte des ans, et qu’il eût été conduit à la mort par la vieillesse. Si, par la volonté divine, les vêtements et les chaussures des Hébreux ne s’usèrent point dans le désert, quoi de surprenant que le Créateur eût conservé jeune et beau le corps de l’homme resté soumis à sa loi, jusqu’au moment où il lui aurait plu de le faire passer de la terre au ciel ? Le témoignage de saint Paul est formel sur la question de la mortalité humaine ; le grand Apôtre parle du corps qui est mort à cause du péché[2] ; il parle aussi du Christ en qui tous seront vivifiés[3], et ceci répond à Célestius, qui niait la résurrection spirituelle des hommes par la médiation du Sauveur. Augustin établit avec l’Ecriture que la justification d’un seul a servi à la justification de tous, comme la faute d’un seul avait entraîné la condamnation de tous, et que l’obéissance du Dieu-Homme a réparé le mal accompli par la rébellion du premier homme.

Célestius soutenait à la fois que le baptême remettait le péché, et que la faute d’Adam n’était point retombée sur sa postérité ; l’usage universel de conférer le baptême aux enfants était donc une accusation portée contre eux ! Pour échapper à l’interprétation catholique du baptême des enfants, on se jetait dans une interprétation absurde et misérable. Le grand docteur s’arrête, muet d’effroi, devant l’abîme des jugements de Dieu, qui permet qu’un enfant reçoive le baptême, et qu’un autre enfant le reçoive pas ; il admire la profondeur des trésors de la science divine, qui ouvre et ferme ainsi le céleste royaume sans que les mérites personnels le déterminent. Nous avons un sens trop petit pour discuter la justice des rigueurs de Dieu. Augustin repousse par l’Écriture l’opinion philosophique qui suppose des fautes et des mérites dans une vie antérieure à la vie présente. Les hommes arrivent avec une intelligence inégale, avec d’inégales dispositions pour le bien, et, si nous voulons expliquer la justice d’en-haut par des conjectures de notre esprit, nous bâtissons des fables. La diversité des vocations humaines est un fait constant devant lequel on ne peut que s’écrier : ô profondeur ! ô altitudo ! La mission du Christ libérateur., rédempteur, illuminateur, est la seule réponse admissible à tous ces mystères de la destinée de l’homme. Dans un passage tiré d’un très-petit livre[4] écrit par l’un de ceux qui enseignaient de profanes nouveautés, et cité par l’évêque d’Hippone, il était dit que les enfants morts sans baptême avaient le salut et l’éternelle vie, parce qu’ils n’étaient capables d’aucun péché ; Augustin fait voir avec une surabondance de preuves que la renaissance[5] dont parle l’Évangile est une rénovation ; qu’une rénovation implique l’idée de quelque chose de vieux dont on se débarrasse, et que cette vétusté, c’est celle du vieil homme qui doit être crucifié pour faire périr la chair de péché. Jésus-Christ est le médiateur sans lequel nulle réconciliation n’est possible entre Dieu et l’homme tombé.

Le second livre Des Mérites et de la Rémission des péchés est une réponse aux opinions qui prétendaient qu’il y avait eu sur la terré et qu’il y aurait encore des hommes exempts de toute faute. « Si nous ne le voulons pas, nous ne péchons pas, disaient les adversaires. Dieu ne prescrirait point à l’homme ce qui serait impossible à l’humaine volonté. » Mais ils ne voient donc pas que, sans un secours surnaturel, toutes les forces de notre vouloir sont quelquefois impuissantes à triompher d’un mauvais désir ! c’est en prévision de cette fatale faiblesse que Dieu faisait dire à son prophète : « Tout vivant ne sera point justifié en votre présence[6]. » C’est pour cela que le Sauveur lui-même nous a appris à prier, nous a donné des préceptes de miséricorde, et nous a recommandé de dire au père qui est aux cieux : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ; ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal. » Le mal demeure dans notre chair, non point dans notre chair telle qu’elle est sortie des mains de Dieu, mais telle qu’elle a été viciée par une chute primitive.

  1. Genèse, III, 19.
  2. Épît. aux Rom., vii,. 10-13.
  3. Corinth., I, XV, 21, 22.
  4. Libello brevissimo. Ce petit livre était probablement de Célestius.
  5. Nisi quis renatus fuerit ex aqua et Spiritu, non intrabit in regnum Dei.
  6. Ps. CXLII, 2.