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chapitre vingt-neuvième.

une vie vagabonde de monastère en monastère. Saint Jean Chrysostome écrivait en 407 : « Le moine Pélage m’a causé une grande douleur, etc. » Si ce Pélage est l’hérésiarque breton, il s’était montré de bonne heure dans les pays d’Orient. Ce qu’il y a de mieux attesté, c’est son long séjour à Rome. Saint Jérôme l’y avait vu sous le pontificat de Damase. Pélage, par l’origine de l’Église de son pays, avait subi l’influence grecque ; il parlait grec lui-même, et peut-être avait-il lu les ouvrages des disciples de Zénon ; il était préparé à recevoir, sur la nature de l’homme, les opinions d’Origène, de Théodore de Mopsueste et de Rufin le Syrien. Celui-ci dut être étonné de la prompte adhésion de Pélage à ses doctrines.

La vie de Pélage à Rome gardait toutes les apparences d’une vie chrétienne. Sa prédication, à la fois touchante et pleine de feu, lui avait fait une renommée. C’est ainsi que le moine breton obtint d’abord l’amitié des plus illustres et des plus saints personnages de son temps, Augustin, Paulin de Nole, Jean Chrysostome, etc., avec lesquels il correspondait. Deux jeunes gens, Timase et Jacques, s’étaient consacrés à Dieu d’après les exhortations de Pélage. Il connut Butin à Rome, probablement dans l’année 400, et commença, quatre ou cinq ans après, à répandre secrètement l’erreur nouvelle sous le voile d’une fausse vertu. Son hypocrisie fit accepter le poison à plusieurs dames romaines. Trois livres sur la foi de la Trinité et un livre de morale intitulé les Eulogies[1], écrits en latin, avaient établi la réputation de Pélage en 404. Quelques paroles tirées des Confessions d’Augustin, citées avec éloge par un évêque, devant le moine breton, lui arrachèrent le secret de sa pensée : « Seigneur, disait le pontife d’Hippone, commandez-nous ce que vous voulez, mais accordez-nous ce que vous nous commandez[2]. » Ces mots avaient excité l’indignation de Pélage ; ainsi le serpent breton, comme l’appelle saint Prosper[3], se découvrait à l’occasion d’un écrit de l’homme qui devait l’écraser.

Toutefois Pélage semait son erreur avec habileté et discrétion ; il reniait au besoin les disciples qu’il avait mis en avant. Il quitta Rome peu de temps avant la conquête d’Alaric, se rendit en Sicile où il enseigna sa doctrine, et toucha aux rivages d’Hippone à la fin de l’année 410 ; il ne fit que passer dans cette ville et n’y prêcha point, comme s’il eût voulu respecter le siège d’Augustin absent.. Le grand docteur, qui avait désiré voir Pélage avant d’écrire contre ses erreurs, était retenu à Carthage par les préparatifs de la conférence solennelle avec les donatistes ; il le vit dans la capitale de l’Afrique au commencement de l’année 411 ; le moine breton ne fit qu’un court séjour à Carthage ; il s’en alla en Égypte et en Palestine. C’est à cette époque, à la fin de 411 ou au commencement de 412, que nous placerons une courte lettre d’Augustin[4] adressée à Pélage en réponse aux louanges dont celui-ci l’avait comblé., L’évêque d’Hippone remercie le moine breton de l’amitié qu’il lui a témoignée il lui souhaite les biens éternels et se recommandes ses prières. Mais nous croyons reconnaître dans ces lignes rapides une sorte de réserve, le simple accomplissement d’un devoir de politesse et comme une crainte secrète de trop s’avancer.

Pélage n’avait pas été seul à produire à Rome des doctrines qui renversaient la base chrétienne ; il avait pour compagnon, dans cette œuvre de propagation, Célestius, originaire de Campanie, eunuque de naissance[5], esprit vif ; sorti du barreau pour entrer dans la vie monastique. Pélage, plus fin et plus adroit que Célestius, enseignait avec d’habiles ménagements ; Célestius niait ouvertement le péché originel dans ses écrits comme dans ses discours, et, grâce à sa hardiesse et à son élocution facile, il s’était placé à la tête[6] des nouvelles doctrines. Il paraît que sa parole manquait de correction, ce qui faisait dire à saint Jérôme que Célestius se promenait, non pas sur les épines des syllogismes, comme le répétaient ses disciples, mais sur les épines des solécismes. Célestius et Pélage étaient partis de Rome en même temps ; le moine de Campanie resta à Carthage pendant que le moine de Bretagne prenait le chemin de l’Orient. Le désir d’être élevé au sacerdoce conduisit Célestius auprès de l’évêque Aurèle ; mais il fut dénoncé au pontife par le diacre Paulin, auteur d’une Vie de saint Ambroise, qui avait rempli

  1. Gennade. Saint Jérôme a trouvé des hérésies dans les Eulogies à pilage. Saint Augustin appelle cet ouvrage le livre des Chapitres.
  2. Confessions, livre X.
  3. Poème contre les ingrats :

    Dogma quod antiqui satiatum felle draconis.
    Pestifero vomuit coluber sermone Britannus.
  4. Lettre 148.
  5. Vincent de Lerins l’appelle à cause de cela : prodigiosus. Commonit., chap. 34.
  6. Saint Jérôme.