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histoire de saint augustin.

quence, l’Abeille de la Sicile, passer des doctrines de Zénon à la croix de Jésus-Christ. À son retour des Indes, où il était allé prêcher l’Évangile, Pantène, simple catéchiste à l’école chrétienne d’Alexandrie, dont il avait été le chef avant saint Clément, protégea la première jeunesse d’Origène ; il exerça sans doute quelque influence sur l’esprit du fils de Léonide, et peut-être Origène lui emprunta-t-il, en les exagérant, ces idées plus zénoniennes que chrétiennes, développées dans le traité des Principes, qui l’ont fait regarder comme un des Pères du pélagianisme[1]. La philosophie stoïcienne s’était mêlée aux sentiments évangéliques dans les monastères d’Orient ; un cénobite grec du quatrième siècle, saint Nil, disciple de saint Chrysostome, crut pouvoir livrer à ses frères de la solitude le Manuel d’Épictète, moyennant quelques suppressions ou corrections ; un célèbre moine de la même époque, Évagre de Pont, qui vécut sous la discipline de Macaire au monastère de Nitrie, tomba dans l’erreur stoïcienne, si nous en croyons saint Jérôme et saint Jean Climaque. L’orgueil du génie grec avait ainsi pénétré dans les déserts de la Thébaïde, auprès de ces hommes accoutumés à triompher de leur nature.

Durant ce quatrième siècle, de sourdes rébellions contre le dogme du péché originel se montrent en Orient. Un évêque de Mopsueste, Théodore, né à Antioche, écrivain ecclésiastique des plus féconds, et dont il n’est resté qu’un seul ouvrage[2], produisit, sur la déchéance primitive, des doctrines qui furent repoussées par la piété catholique contemporaine. Enfin ces doctrines arrivèrent, pour la première fois, dans le monde chrétien d’Occident, avec Rufin le Syrien, disciple de l’évêque Théodore et ami de saint Pammaque. Rufin trouva à Rome l’homme qui devait leur donner son nom : cet homme était Pélage. Anastase occupait alors la chaire de Saint-Pierre.

Si nous écartons les fabuleuses narrations des écrivains anglais, il nous restera peu de choses sur l’origine de Pélage : tout ce que nous savons, c’est qu’il sortit de la Grande-Bretagne ; nous ignorons même son nom véritable ; Pélage n’est que la traduction grecque d’un surnom (Morgan) qui veut dire mer en langue celtique. On a disserté pour savoir si Pélage était moine ou laïque. Nous pouvons conclure des indications contemporaines qu’il était moine, sans appartenir à aucun degré de la cléricature. Et c’est parce que Pélage n’était pas ecclésiastique qu’Orose n’aurait pas voulu le voir assis dans une assemblée de prêtres au concile de Diospolis, en 415. Augustin est celui de tous les contemporains qui paraît avoir jugé Pélage avec le plus d’impartialité ; le calme de son esprit lui permettait de rendre justice à tous. L’évêque d’Hippone accorde à l’homme de la mer un génie subtil, pénétrant et fort, une ardente et véhémente éloquence. Pélage parlait avec puissance, et pourtant il parlait difficilement ; son élocution était aussi laborieuse que son style, qui manquait de charme et d’élégance, et révélait peu d’étude des belles-lettres. Aussi pense-t-on que Pélage emprunta une plume plus littéraire et plus élégante que la sienne pour rédiger la lettre adressée à la vierge Démétriade ; on l’a tour à tour attribuée à saint Augustin, à saint Ambroise et à saint Jérôme.

Le moine breton avait une grande taille et une structure herculéenne ; saint Jérôme, qui cédait parfois au désir de diminuer le mérite de ses adversaires, l’appelle un chien des Alpes, gros et gras, plus capable d’écraser par sa pesanteur que de déchirer par ses morsures, et le représente comme appesanti par la nourriture écossaise[3] ; Orose, qui avait beaucoup vu Pélage en Palestine, en a parlé dans son Apologétique[4] ; le portrait qu’il en trace est assez conforme aux couleurs de saint Jérôme. Il nous apprend que Pélage était eunuque et borgne, qu’il portait fièrement la tête sur de larges épaules, et que, grâce à l’usage immodéré du vin et des viandes, il avait une face pleine et luisante. Orose voit dans Pélage un Goliath d’un prodigieux orgueil, fier de sa corpulence, se croyant capable de tout faire par lui-même, chargé de riches vêtements, et cherchant la perfection d’une vie sans tache au milieu des douceurs de la table et du sommeil. Nous trouvons dans le recueil des Lettres de saint Isidore de Peluse une lettre écrite à un moine appelé Pélage ; le pieux et savant solitaire égyptien accuse ce moine d’intempérance et lui reproche

  1. Origène a dit pourtant dans son vii- siècle livre contre Celse : « La nature humaine n’est pas suffisante à chercher Dieu en quelque façon que ce soit, et à le nommer même, si elle n’est aidée de celui-là a même qu’elle cherche. »
  2. Le Commentaire sur les Psaumes.
  3. Scotorum pultibus praegravatum. Praef. in Jerem.
  4. Apol. De arbitrii libertate. C’est en 415 ou 416 qu’Orose jugeait ainsi Pélage.