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histoire de saint augustin.

des questions diverses dont ils attendaient la solution, cherchant à s’instruire à fond de ce grand débat qui s’agitait entre le Dieu crucifié et les dieux brillants de l’Olympe. Volusien, encore païen, oncle de la jeune Mélanie, fille d’Albine, parlait en 412[1] à l’évêque d’Hippone d’une conversation qu’il avait eue avec des amis païens comme lui ; après avoir causé de rhétorique, de poésie et de philosophie, leur entretien s’était élevé à des hauteurs graves. L’un d’eux, prenant la parole, avait demandé s’il ne se trouvait là personne qui fût versé dans la doctrine du christianisme, et qui pût résoudre des difficultés dont son esprit était occupé ; nul n’avait répondu à son appel, et cet homme avait exposé ses doutes. Comment croire que le Créateur, le maître du monde, se soit enfermé dans le sein d’une vierge ? Celui que l’univers ne peut contenir aurait été caché dans le corps d’un enfant soumis à toutes les infirmités de notre nature ! Et ce Dieu-enfant ne serait parvenu à l’âge viril qu’en passant lentement par les divers degrés de la vie ! Le roi de toute chose était donc alors absent de son trône ! Cet Homme-Dieu aurait eu besoin de sommeil et de nourriture ! Aucun signe proportionné à une aussi grande majesté ne l’aurait révélé au monde, car les démons chassés, les malades guéris, les morts ressuscités, sont peu de chose pour un Dieu, puisque des hommes en ont fait autant !

Ainsi parlait le païen ; il aurait voulu aller plus avant. On interrompit son discours et on se sépara, avec le projet d’interroger sur ce point des personnes éclairées, afin de ne pas s’aventurer légèrement dans le secret des divins mystères. C’est pour la solution de ces problèmes que Volusien écrivit à l’évêque d’Hippone : « Votre renommée, lui disait-il, est intéressée à la solution de ces difficultés ; l’ignorance se tolère en d’autres prêtres, sans dommage pour la religion ; mais quand on vient consulter l’évêque Augustin, on est fondé à croire que tout ce qu’il ne sait pas n’est point dans la loi. »

Marcellin, que nous avons vu présider la conférence de Carthage, écrivit[2] à Augustin pour appuyer la demande de Volusien ; il suppliait l’évêque de résoudre pour le compte de plusieurs païens les difficultés sur le mystère de l’incarnation, et surtout d’avoir en vue ceux qui ne reconnaissaient dans les œuvres de Jésus-Christ rien de supérieur aux œuvres d’Apollonius et d’Apulée. Marcellin ajoutait d’autres difficultés proposées par Volusien lui-même. Pourquoi, disait Volusien, pourquoi Dieu, s’il est le même que celui qui était adoré sous l’Ancien Testament, veut-il maintenant un nouveau culte ? Il y a du désordre et de l’injustice à changer ce qui est bon. La diversité du culte de l’ancienne loi et de la loi nouvelle nous donne l’idée d’un Dieu inconstant et léger. Volusien disait encore que la doctrine de Jésus-Christ ne saurait convenir aux États, puisqu’elle défend de rendre le mal pour le mal, et qu’elle nous ordonne, après avoir été frappés sur une joue, de tendre l’autre, et de donner notre manteau quand on veut nous ôter notre robe, etc. La pratique des maximes de la religion chrétienne serait donc funeste aux empires. Toutes ces difficultés avaient été proposées en présence d’un des principaux habitants des environs d’Hippone ; celui-ci parlait avec ironie du génie d’Augustin, qu’il accusait de n’avoir pu répondre suffisamment à ces mêmes questions. Marcellin conjure l’évêque de traiter ce sujet sérieusement, parce que beaucoup de gens attendent la réponse : « Au temps où nous sommes, dit Marcellin, vous ne pouvez rien faire de plus utile à l’Église. »

Augustin répondit[3] à Volusien ; c’était répondre aux païens ses contemporains. Cette lettre si vivement désirée est complète ; l’évêque nous apprend qu’en ce moment il se trouvait assez libre des affaires du dehors ; il était heureux d’employer son loisir à la solution de difficultés qu’il avait lui-même appelées.

Augustin reproche à Volusien de lui avoir adressé trop de louanges ; quoique ces louanges naissent d’un grand fonds d’amitié, il les repousse et prie le frère d’Albine de les lui épargner.

« Telle est, dit-il, la profondeur des lettres chrétiennes, que j’y découvrirais chaque jour de nouvelles choses, lors même qu’avec u meilleur génie et avec l’application la plus soutenue j’y aurais consacré tout mon temps « depuis ma première enfance jusqu’à l’extrême vieillesse ; on ne rencontre pas ces grandes difficultés pour arriver à comprendre ce qui est nécessaire au salut ; mars après que chacun y a vu sa foi, sans la-

  1. Lettre 135.
  2. Lettre 136.
  3. Lettre 137.