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chapitre vingt-huitième.

des hommes pervers ! Le sage méprisera les œuvres des démons comme leurs prophéties. Il sait que des hommes aux mœurs dépravées exécutent chaque jour des tours qu’on a de la peine à croire. Que de choses étonnantes exécutées par les funambules, les mécaniciens, les gens de la place publique ! Que de merveilles dans les arts !

Les démons peuvent corrompre l’air, donner de mauvais conseils aux hommes attachés à la terre, et connaître les dispositions humaines, même celles qui sont restées dans la pensée intérieure ; Augustin avait dit que les démons démêlaient les sentiments par des signes corporels qui demeuraient cachés pour nous ; dans sa Revue[1], il se reproche sur ce dernier point une affirmation trop absolue, et avoue qu’il est bien difficile, sinon impossible de se prononcer là-dessus. — L’évêque d’Hippone, après avoir caractérisé le genre de prophéties échu en partage aux démons, montre l’immense distance qui le sépare des divines prophéties manifestées par les anges et les voyants d’Israël. Ici c’est l’immuable vérité qui parle ; les anges et les prophètes ne trompaient pas et n’étaient pas trompés ; il n’en est pas de même des démons ; ils sont soumis à une puissance plus haute, qui peut déjouer leurs méfaits et les faire mentir ; leurs oracles demeurent incertains, et de plus ce n’est pas le bien, ce n’est pas la vérité, c’est le mal et l’erreur que les démons soufflent aux oreilles et au cœur des mortels. Les prophètes de Dieu avaient annoncé la ruine du polythéisme ; à la veille du renversement des statues et des temples, le démon de Sérapis a pu révéler quelque chose à ses adorateurs, comme pour leur recommander, en s’en allant, sa divinité menacée. Il était écrit[2] : « Le Seigneur prévaudra contre eux, il exterminera tous les dieux des nations de la terre. »

« Que nos ennemis raillent notre ignorance et notre folie, dit Augustin dans les dernières lignes de son livre, et qu’ils vantent leur doctrine et leur sagesse. Ce que je sais, c’est que nos railleurs sont en plus petit nombre cette année que l’année dernière. Depuis que les nations ont frémi et que les peuples ont médité des choses vaines contre le Seigneur et son Christ, quand ils répandaient le sang des justes et dévastaient l’Église ; depuis ces grandes persécutions jusqu’à ce jour, le nombre de nos ennemis diminue sans cesse. Les oracles de notre Dieu, qui s’accomplissent tous les jours, nous rendent forts contre leurs attaques et leurs railleries superbes. Dieu nous dit par son prophète : « Écoutez-moi, ô mon peuple ! écoutez-moi, vous qui savez le jugement, vous qui gardez ma loi dans votre cœur : ne craignez point les outrages des hommes ; ne vous laissez point vaincre par leurs insultes ; ne vous préoccupez pas trop de ce que maintenant ils me méprisent. Le temps les consumera comme un vêtement ; ils seront mangés comme la laine par la teigne : mais ma justice demeure éternellement. » « Qu’ils lisent ces choses, s’ils le daignent, ajoute Augustin, et lorsque leurs contradictions nous seront parvenues, nous leur répondrons autant que Dieu nous aidera. »

Cette fin nous place au cœur du christianisme poursuivant énergiquement le cours de ses victoires sur l’ancien monde, malgré les blasphèmes et les plaintes injurieuses de ce monde expirant, et nous montre Augustin debout sur les hauteurs évangéliques, servant d’instrument à Dieu pour établir la vérité. Nous avons analysé ce que dit l’évêque d’Hippone sur les démons, pour constater quelles étaient sur ces matières les idées catholiques du cinquième siècle ; ce sont encore les idées catholiques d’aujourd’hui. La démonologie occupe une assez grande place dans les doctrines de Plotin et de Porphyre ; parmi les idées qui avaient cours dans les régions philosophiques ; Augustin a accepté celles que ne condamnaient pas les saintes Écritures et les enseignements chrétiens. Si nous nous occupions ici de, démonologie, nous aurions à parcourir un cercle immense de vieilles imaginations chez tous les peuples ; la mythologie, symbolisation universelle de la création, aurait sa part dans une excursion de ce genre. Mais un traité pareil n’a que faire dans notre couvre. Il nous suffit de constater que, depuis les premiers temps de l’univers jusqu’à nos jours, et dans toutes les contrées connues, les peuples ont cru aux démons. Le mosaïsme, le christianisme, l’islamisme, le bouddhisme s’accordent sur ce point l’Égypte et la Judée, la Grèce, l’Afrique, l’Inde, le Japon, la Chine, l’Amérique, ont proclamé l’existence des mauvais génies.

Chaque fois que l’occasion s’en est rencontrée, nous nous sommes attaché à montrer les païens réfléchissant sur la loi nouvelle, po-

  1. Livre II, ch. 30.
  2. Sophon., II, 2.