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histoire de saint augustin.

tion pour instruire et ramener quelque âme errante au milieu de son peuple. Comme j’étais occupé à creuser une question dans ses profondeurs les plus cachées, tout-à-coup j’ai passé à un autre sujet ; j’ai terminé mon discours, bien plus en combattant les manichéens, dont je ne me proposais pas de parler, qu’en traitant la question que j’avais en vue de résoudre. »

Un ou deux jours après que ces paroles furent, échangées à table, voilà qu’un étranger arrive au monastère, se jette aux pieds d’Augustin en présence des frères, et le conjure de prier Dieu avec tous ses pieux amis pour obtenir le pardon de ses péchés. Il confesse qu’il a suivi jusque-là, et depuis plusieurs années, la doctrine des manichéens ; qu’il leur avait, inutilement pour lui-même, donné beaucoup d’argent, ainsi qu’à leurs élus, et que le dernier discours de l’évêque l’a tiré de ses erreurs et fait catholique. Cet homme s’appelait Firmus ; il était commerçant. « Le vénérable Augustin et nous tous qui étions présents, dit Possidius, ayant demandé à cet homme de quelle partie du discours il avait été particulièrement satisfait, il nous fit une réponse qui nous remplit de surprise et d’admiration pour les profonds desseins de Dieu en faveur du salut des âmes, et nous glorifiâmes son saint nom. Nous bénîmes Dieu, qui opère le salut des âmes quand il veut, comme il veut, par le moyen de ceux qui le savent et de ceux qui ne le savent pas. » Firmus renonça au commerce, et se prépara au sacerdoce ; au temps où écrivait Possidius, le nouveau catholique remplissait les fonctions de prêtre dans les pays d’Occident.

Pour ne pas interrompre notre récit des derniers coups portés contre les donatistes, nous n’avons, rien dit d’un livre d’Augustin sur le don prophétique des démons[1], dont la composition se place vaguement entre l’année 406 et l’année 411. Un jour de la semaine de Pâques, beaucoup de chrétiens laïques se trouvant le matin réunis chez l’évêque d’Hippone, on parlait du christianisme, de la merveilleuse science des païens et des démons qui paraissaient doués de la connaissance des choses futures. Chacun se mêlait à la conversation ; des objections étaient faites au nom du paganisme, et l’évêque y répondait. Il écrivit, avec le souvenir de cette conversation, un livre de quelques pages.

On avait cité le renversement de la statue et du temple de Sérapis à Alexandrie, à la suite de l’édit de Théodose, renversement annoncé d’avance par les démons. Augustin répondit qu’ils pouvaient prédire cet événement et d’autres de ce genre, si Dieu le voulait. Un des assistants fit observer que ces sortes de prédictions étaient donc bonnes et saintes, puisque Dieu les permettait ; l’évêque prouva que le Dieu puissant et juste pouvait permettre l’accomplissement de choses mauvaises, comme l’homicide, l’adultère, le vol, etc., l’accomplissement de choses contraires à la religion dans laquelle il veut être adoré. Recueillons quelques traits du livre sur les esprits du mal.

Les démons, avec leurs corps aériens, sont supérieurs aux hommes qui ont des corps de terre ; ils surpassent en vitesse les hommes, les bêtes des bois, les oiseaux du ciel ; grâce à leur pénétration et à la rapidité de leurs mouvements, ils savent et annoncent beaucoup de choses plus tôt que nous, qui sommes enchaînés par des liens pesants. La longue vie des démons leur donne une expérience que nous ne pouvons avoir nous-mêmes avec la brièveté de nos jours. La merveille de quelques-unes de leurs œuvres leur a valu l’adoration des hommes. Toutefois rien, dans les privilèges des démons, ne doit nous faire envier leur sort ; serait-ce leur puissance physique ? mais envierez-vous le chien, si habile à découvrir la bête cachée et à la livrer au chasseur ? le vautour qui vient de si loin sur un cadavre qu’il a senti ? l’aigle qui, de la hauteur sublime de son vol, aperçoit le poisson nageant au sein des mers, se précipite, l’arrache des eaux et l’emporte dans ses serres ? envierez-vous tant d’animaux qui, paissant à travers une foule d’herbes mauvaises pour eux, ne touchent à rien de nuisible, tandis que nous tâtonnons et nous craignons de cueillir des plantes funestes ? Quant à la faculté des démons d’annoncer beaucoup de choses à l’avance, nous ne devons pas les confondre avec les lumières de la vérité la plus vraie ; des adolescents vertueux sont préférables à d’indignes vieillards, malgré leur longue expérience ; le médecin marquera longtemps à l’avance l’issue d’une maladie ; le nautonier, prédira des tempêtes ; l’homme des champs vous dira ce que deviendront tels arbres et tels fruits : ils passeront pour prophètes aux yeux d’un ignorant, et cependant ils peuvent être

  1. De divinatione daemonum liber unus.