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chapitre vingt-septième.

bizarre incident marqua le début de la troisième séance ; lorsque Marcellin eut prié les évêques de s’asseoir, les donatistes, par l’organe de Pétilien, imaginèrent de le refuser en invoquant l’Écriture, probablement parce que le juste ne doit pas s’asseoir au milieu des impies ; les dix-huit évêques catholiques ne crurent pas devoir rester assis pendant que les deux cent soixante-dix-huit évêques donatistes étaient debout, et Marcellin lui-même, par respect pour les évêques, fit disparaître son siège.

Les donatistes auraient, bien voulu, dans la séance du 8 juin, recommencer leurs chicanes ; mais le grand évêque d’Hippone, impatient de voir la vérité sortir victorieuse de la lutte, coupa court aux divagations stériles et amena ses adversaires à la question de savoir où était l’Église catholique. Chose curieuse ! Les donatistes avaient osé se plaindre qu’on les eût amenés à la cause ! « Oh ! qu’elle est forte la vérité ! s’écriait à ce sujet Augustin ; sa force est plus puissante que les chevalets et les ongles de fer pour pousser à l’aveu de toute chose. » À de misérables subtilités, à des tergiversations perpétuelles, Augustin opposait une parole ferme, lumineuse et précise, et retenait dans la question ses adversaires toujours prêts à en sortir. Pétilien crut l’embarrasser en lui demandant s’il était, oui ou non, le fils de Cécilien. — Il est écrit, lui répondit Augustin, que notre père n’est pas sur la terre. Pourquoi me demandez-vous si je suis le fils de Cécilien ? Si Cécilien fut innocent, qu’il s’en réjouisse comme je m’en réjouis, mais ce n’est pas dans son innocence que j’ai mis mon espoir. S’il fut coupable, il a été dans l’Église comme la paille sur l’aire, comme les boucs qui paissent dans les mêmes pâturages que les brebis, comme les poissons dans les filets : nous ne devons pas, à cause des méchants, déserter l’aire du Seigneur, briser les filets divins par la haine des divisions, et les tirer avant le temps sur le rivage !

Sur de nouvelles interrogations de Pétilien, l’évêque d’Hippone ajouta que Cécilien n’était qu’un frère dont il vénérait la mémoire, et que son père était Dieu, Christ et Rédempteur ; que le Christ était le chef et la racine des catholiques et non pas Cécilien. Augustin dominait Pétilien et ses injures de toute la hauteur de la vérité. Les donatistes répétèrent les griefs et les objections auxquels tant de fois on avait répondu. Ils ne pouvaient faire autrement que de convenir que l’Église catholique était celle qui était répandue par toute la terre. Dès lors il ne restait plus à examiner laquelle des deux communions de l’Afrique était en rapport avec les catholiques des diverses parties de l’univers ; le résultat de cet examen ne pouvait pas être douteux.

Les donatistes passèrent brusquement à l’affaire de Cécilien. Ils lurent un mémoire dans le but de prouver la mutuelle responsabilité morale des hommes d’une même communion, et la culpabilité de Cécilien, qui aurait dû rester seul après sa faute. Augustin ne laissa aucun des points de ce mémoire sans réponse, et montra, par l’Écriture et par l’autorité de saint Cyprien lui-même, que l’Église sur la terre serait toujours mêlée de bons et de méchants ; il fit voir que ce principe avait inspiré les donatistes dans leur conduite avec les maximianistes, et lorsque les adversaires, enlacés par ce souvenir, s’écrièrent qu’une cause[1] ne nuisait pas à une autre cause, et que les fautes étaient personnelles : « Cette réponse est courte, dit Augustin, mais elle est claire et précise en faveur des catholiques !… Combien aurions-nous donné de montagnes d’or pour arracher aux donatistes cette réponse ! » Ils prononçaient eux-mêmes leur condamnation. Ils établissaient par là que la culpabilité de Cécilien n’aurait pu porter aucun tort à l’Église. Mais on procéda à l’examen de la question de la culpabilité de Cécilien ; la production des pièces originales fit éclater son innocence, déclarée tour à tour par les jugements des conciles de Rome et d’Arles, et le jugement de l’empereur Constantin. L’innocence de Félix, évêque d’Aptunge, fut également proclamée. Ainsi toutes les questions se trouvaient résolues. Les évêques se retirèrent pour laisser Marcellin écrire sa sentence, et rentrèrent pour en écouter la lecture.

Le président de la conférence exprimait sa joie de la guérison inespérée d’un mal aussi ancien et proclamait l’innocence de Cécilien et de Félix ; il interdisait aux donatistes toute assemblée religieuse et ordonnait que leurs églises seraient livrées sans retard aux catholiques dont le triomphe avait été appuyé sur tant de preuves. ; chaque évêque donatiste pouvait retourner chez lui sans inquiétude pour se ranger ensuite sous la loi de l’unité ; ceux qui avaient sur leurs terres des troupes de circon-

  1. Nec causa causæ, nec persona personæ præjudicat.