Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.
3
chapitre premier.

diminue point la faute, mais elle révèle les sentiments du cœur. L’auteur des Confessions ne s’est pas épargné dans le récit de son séjour à Carthage ; pourtant Vincent-le-Rogatiste nous apprend que le fils de Monique passait pour un jeune homme ennemi du trouble et aimant l’honnêteté. Saint Augustin nous a dit lui-même qu’il ne se mêlait point aux excès des écoliers de Carthage, tout fiers de leur surnom de ravageurs[1]. Il partageait la demeure d’un ami, Romanien de Thagaste, qui, après la mort de Patrice, devint son principal appui, et l’affranchit de tous les soucis temporels. Les libéralités du riche Romanien envers le jeune Augustin ont jeté sur son nom une sorte d’éclat : les grands hommes donnent à leurs amis une douce et durable renommée en échange du bien qu’ils en reçoivent.

À dix-neuf ans, Augustin fut profondément remué par la lecture de l’Hortensius de Cicéron, ouvrage que nous avons perdu dans le naufrage des temps ; il se sentit saisi d’un violent mépris pour les espérances du siècle, et d’un ardent amour pour l’immortelle beauté de la sagesse. Nous regardons comme une gloire de Cicéron d’avoir le premier éveillé dans l’âme d’Augustin le goût des biens invisibles et de la beauté impérissable. Quelque chose venait refroidir son enthousiasme pour l’ouvrage de l’orateur romain ; c’était l’absence du nom de Jésus-Christ. Le fils de Monique avait appris à aimer ce nom dès ses plus tendres années ; il l’avait sucé avec le lait ; à travers les tempêtes de son jeune cœur, le nom de Jésus-Christ y était resté au fond comme un parfum divin ; les plus magnifiques traités de philosophie lui semblaient incomplets et perdaient à ses yeux de leur puissance et de leur charme, du moment que le nom de Jésus-Christ ne s’y trouvait point. Augustin commença à lire les saintes Écritures, auxquelles il ne comprit rien d’abord ; la seule impression qu’il en garda, ce fut que rien dans les livres sacrés ne pouvait se comparer à l’éloquence majestueuse de l’orateur romain[2] ; la simplicité biblique n’allait pas à l’orgueil de son esprit.

À cette époque Augustin rencontra pour la première fois des manichéens, grands parleurs, qui répétaient toujours vérité, vérité, et dont le cœur était vide de toute vérité[3]. Il se laissa enchaîner dans les ténèbres d’une opinion insensée. Ce génie, pris aux pièges des sectaires, aiglon garrotté dans les liens de l’erreur, en était venu au point de croire qu’une figue détachée de l’arbre pleurait, que le figuier pleurait aussi, et que les gouttes de lait de la figue détachée étaient des larmes[4] ! Mais l’élu de la Providence pour la défense du monde catholique n’était pas destiné à se coucher dans ses erreurs comme dans un lit de repos ; les larmes d’une pieuse mère ne tombaient point en vain aux pieds de Jésus-Christ ; Monique pleurait son fils plus amèrement qu’une autre mère ne pleure son enfant qu’on va porter en terre. Toutefois, Augustin ne fut que simple auditeur parmi les manichéens ; il ne figura jamais parmi leurs prêtres et leurs élus. Son esprit, qui avait faim et soif de vérité, ne trouvait point dans le manichéisme une complète réponse aux doutes dont il était travaillé ; mais rien de mieux ne s’offrait alors à sa sincérité. Il se pratiquait chez les manichéens des choses infâmes connues seulement des initiés et qui étaient ignorées d’Augustin ; le jeune auditeur n’avait aucune idée de leur eucharistie ; tout ce qu’il savait de leurs cérémonies, c’était la prière à laquelle il assistait quelquefois ; dans cette prière, qui n’avait rien de mauvais, les assistants se tournaient toujours vers le soleil.

En 375, Augustin avait achevé ses études à Carthage ; revenu à Thagaste, il y enseignait la grammaire ; la demeure de Romanien, son appui et son ami, était encore devenue la sienne. Ce fut alors que Monique eut le songe prophétique d’après lequel elle permit à son fils de demeurer dans sa maison et de s’asseoir à sa table, ce qu’elle lui avait interdit depuis quelque temps, à cause de ses détestables erreurs. On connaît ce songe ; Monique, debout sur une pièce de bois dans l’attitude d’une profonde tristesse, vit s’avancer vers elle un jeune homme brillant de lumière qui, instruit de la cause de son chagrin, lui ordonna de ne plus s’inquiéter, de regarder attentivement, et lui dit que là où elle était, elle verrait aussi son fils. En effet, la pieuse mère, ayant jeté les yeux autour d’elle, reconnut le jeune Augustin sur cette même pièce de bois. Saint Augustin nous raconte qu’il chercha à interpréter le rêve en faveur de ses propres doctrines, comme si

  1. Eversores.
  2. Confessions, livre iii, chap. 5.
  3. Confessions, livre iii, chap. 6.
  4. Dans cette partie de ses Confessions, saint Augustin fait une admirable peinture de Dieu, du mal, de la variété des lois humaines et religieuses selon les temps et les lieux, de l’harmonie universelle qui naît de la diversité. Livre iii, chap. 7.