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histoire de saint augustin.

qu’île ; là, sur cette péninsule, depuis la côte de la Goulette jusqu’à Kamart, l’imagination relève les palais et les temples, les théâtres et les thermes de la capitale africaine.

Au temps de saint Augustin, des églises et des monastères couvraient le sol rempli des souvenirs de Didon et de Sophonisbe, de Syphax et de Massinissa, d’Annibal et de Scipion. Un double port, appelé quelquefois Cothon, à cause de la petite île de ce nom, abritait les vaisseaux dominateurs des mers ; rien de plus difficile à reconnaître aujourd’hui que les traces de ces deux ports : le temps s’est plu particulièrement à détruire ce qui fit surtout la puissance des Carthaginois. Des huttes de Maures, des débris dispersés, des figuiers, des caroubiers et des vignes, des touffes d’acanthe comme sur la colline d’Hippone, occupent la place de la ville proprement dite, qui se nommait Megara. Plus rien ne reste de ces murailles où pouvaient se loger trois cents éléphants et quatre mille chevaux, où l’on avait pratiqué des greniers, des entrepôts, de vastes casernes pour vingt mille fantassins et quatre mille cavaliers. Les seuls monuments de l’ancienne Carthage demeurés debout ou reconnaissables, c’est un amphithéâtre (l’amphithéâtre de Leggem), ce sont des cippes puniques, et les citernes dont la beauté frappe les voyageurs. L’aqueduc qui portait aux citernes l’eau des sources de Zauvan, à cinquante milles de Carthage, présente des arches de soixante et dix pieds de haut. À part ces ruines qui peuvent être nommées, l’emplacement de Carthage forme comme une profonde nuit ; c’est la poussière d’un cadavre de géant. Il y a onze siècles que Carthage fut renversée par les Sarrasins, et depuis ce temps les barbares, maîtres du pays, n’ont pas cessé d’arracher des débris à l’illustre métropole. L’héroïsme et les malheurs d’une armée française ont rendu cette terre plus auguste, plus vénérable à nos yeux la mort de saint Louis plane sur l’immense sépulcre de Carthage, comme le plus pur rayon de gloire[1].

Cette Carthage, détruite par Scipion, et qui n’avait offert à Marius que des cabanes et des ruines, s’était relevée sous Auguste ; c’est la ville rebâtie par Auguste et déjà florissante au temps de Strabon, qui vit Tertullien, Lattante, Victorin, saint Cyprien, la jeunesse de saint Augustin, ses travaux, ses combats glorieux. Elle n’offrait plus, la magnificence d’autrefois ; mais elle avait encore des monuments, une population considérable et un centre d’études qui la rendaient digne des regards du monde.

De tous les pays : soumis à l’empire romain, le pays d’Afrique était le plus riche et le moins difficile à conquérir ; les forces romaines ne s’y trouvaient pas considérables ; une bataille gagnée suffisait pour l’enlever. Soit qu’Alaric crût important de saisir l’Afrique, grenier de l’empire, soit qu’il n’eût encore rien d’arrêté sur la possession de l’Italie, il reste à peine quelques jours dans Rome tombée à ses pieds ; et, sans songer à vaincre Honorius, qui tremblait à Ravenne, il tourne ses yeux vers l’Afrique. On sait comment la mort arrêta tout à coup le fier conquérant. Cette menace contre l’Afrique avait été pour. Honorius un avertissement ; afin que cette contrée devînt une proie moins facile, il importait de recourir aux meilleurs moyens d’y rétablir l’unité religieuse. C’est ce qui explique l’ordonnance d’Honorius du 14 octobre 410, par laquelle les évêques catholiques et donatistes étaient convoqués à une réunion solennelle et décisive. Les intérêts de l’empire s’accordaient ici avec les intérêts de la foi chrétienne, et d’ailleurs la saine partie des populations donatistes, fatiguée de longs troubles, soupirait après un jugement suprême. Depuis plusieurs années, les évêques catholiques appelaient de leurs veaux ardents cette conférence d’où la paix devait sortir.

L’ordonnance du 14 octobre 410, adressée à Flavius Marcellin, est au nom des empereurs Honorius et Théodose, pieux, heureux, vainqueurs et triomphateurs. C’est un mois et demi après la prise de Rome par Alaric que de tels titres étaient donnés à de faibles princes ! Honorius proclamait le respect de la foi catholique comme le premier de ses soins ; il déclarait que le but de ses travaux dans la guerre et de ses méditations dans la paix, était de maintenir la religion véritable ; il parle des donatistes qui déshonorent l’Afrique, la plus grande portion de son empire. L’empereur veut mettre un terme à leur schisme injurieux à la foi,

  1. Tout le monde a lu le beau travail de M. de Châteaubriand sur Carthage dans l’Itinéraire de Paris à Jérusalem. Un long séjour à Tunis a permis à M. Falbe, consul général de Danemark, de réunir les documents les plus exacts et les plus complets sur l’emplacement de Carthage. M. Falbe a publié ses recherches dans un mémoire ; il y a joint des planches qui renferment un plan des ruines de Carthage, des vues et des croquis, des cippes puniques, des dessins de médailles. Plusieurs inscriptions puniques se trouvent traduites dans ce mémoire.