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chapitre vingt-sixième.

Il prend Dieu à témoin que l’administration des biens de l’Église d’Hippone lui est à charge, qu’il la regarde comme une servitude, et qu’il voudrait s’en affranchir ; Dieu lui est aussi témoin qu’il croit, Alype dans les mêmes sentiments, et qu’Alype ne mérite pas les outrages dont l’a accablé le peuple d’Hippone. Albine avait demandé au saint évêque s’il croyait qu’un serment obtenu par la force fût obligatoire ; Augustin s’était déjà formellement expliqué là-dessus, dans une lettre à Alype[1] ; il répète à Albine qu’un chrétien, même en présence d’une mort certaine, ne doit pas faire servir à un mensonge le nom de son Seigneur et de son Dieu. Les chrétiens d’Hippone ne prétendent pas retenir, Pinien en esclavage ; il peut aller et venir selon ses besoins, pourvu qu’à chaque absence il soit en disposition de retourner à Hippone. Le séjour à Hippone n’est donc pas un bannissement pour Pinien, et s’il consentait à entrer dans la cléricature, le sacerdoce pourrait-il jamais être considéré comme un exil ? Le serment contre lequel s’élève si vivement Albine a été, en dernier lieu, offert volontairement, et non pas arraché de force. Si un homme aussi considérable que Pinien oubliait son serment, cet exemple serait une grande leçon de parjure. Augustin n’a pas dû empêcher Pinien de jurer ; il ne lui appartenait pas de laisser bouleverser son Église plutôt que d’accepter ce que lui offrait un homme de bien.

Il paraît que le fils de Sévère fut relevé de son serment, car il passa avec sa femme et sa belle-mère sept ans à Thagaste, au milieu d’une surprenante austérité, et ces pieux enfants de Rome terminèrent leurs jours à Jérusalem.

Le récit de la petite sédition qui éclata, à l’occasion de Pinien, dans l’Église d’Hippone, nous introduit dans les mœurs catholiques de ces vieux âges. Le peuple y forme comme une république qui a sa volonté, et avec laquelle l’évêque est obligé de traiter. L’intervention du peuple dans le gouvernement de l’Église africaine, intervention qui n’était pas un droit, mais un abus, renfermait des éléments de désordre et des causes de ruine. Quand la multitude s’écriait : Ambroise évêque ! ou qu’elle poussait Augustin au sacerdoce, sa voix retentissait comme la voix de Dieu ; mais combien de fois les intérêts les plus saints et les plus graves pouvaient se trouver compromis par les fantaisies passionnées par la foule !




CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME.




Carthage et ses ruines. — La Conférence de Carthage entre les catholiques et les donatistes. — Résumé des actes de la conférence par saint Augustin.

(411-412.)


Jusqu’ici dans notre œuvre il n’est pas un nom de ville qui ait plus retenti que celui de Carthage, et ce nom retentira souvent encore au milieu de nos récits. C’est à Carthage que vont se réunir, pour la solution de la question des donatistes, les évêques de tous les points de l’Afrique chrétienne ; efforçons-nous donc de nous former quelque idée de la grande cité qui posséda l’empire des mers dans l’ancien monde, fit trembler Rome et représenta une force si haute, un si vaste foyer d’activité et de génie.

Les ravages du temps et de la conquête ont profondément bouleversé l’emplacement de Carthage ; les incertitudes des lieux refusent à la pensée du voyageur une reconstruction entière et précise de la seconde ville de l’univers. Mais il est des points qui éclairent et fixent l’esprit. C’est ainsi que la colline, jadis couronnée par la fameuse citadelle Byrsa, marque le milieu de l’emplacement de Carthage. La lagune au fond de laquelle s’élève l’industrieuse Tunis, avec ses cent mille habitants, et la mer au cap Kamart, forment une pres-

  1. Lettre 125.