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chapitre vingt-sixième.

l’intelligence, de cette belle étoile africaine qui répandait un jour si brillant. Il s’était établi, on le sait, un commerce de lumière entre Augustin et Paulin ; l’évêque d’Hippone, bon pour tous, laissait voir une prédilection particulière pour ce saint ami qu’il n’avait jamais vu. Une lettre de l’évêque de Nole, de 410, renferme douze questions tirées des Psaumes, des Épîtres de saint Paul et de l’Évangile ; Augustin y fit d’abord des réponses qui ne parvinrent pas à Paulin, et qui ne sont point parvenues non plus à la postérité ; nous n’avons qu’une réponse de l’année 414, écrite dans le but de remplacer les lettres perdues.

Il était difficile que les questions religieuses qui partageaient en deux l’Afrique ne fussent pas de temps en temps soumises aux nécessités politiques de l’empire romain. On se souvient d’Attale, ce préfet de Rome, dont il avait plu à Alaric de faire un empereur ; à la fin de 409, Attale, tout incapable qu’il était, tenta quelque mouvement pour s’assurer la possession de l’Afrique ; les donatistes, ainsi que nous l’avons remarqué, s’offraient comme les auxiliaires de toute rébellion contre les empereurs ; Attale avait jeté les yeux sur eux ; mais Honorius, d’après les conseils de quelques hommes considérables, prévint les projets du nouvel empereur en rendant aux donatistes leurs églises et la liberté de faire ce qu’ils voudraient en religion. C’était remettre tout en question et replacer les catholiques sous les coups de leurs ennemis. Mais cette situation ne dura que huit ou neuf mois ; le concile de Carthage, en 410, demanda la révocation d’un édit désastreux pour l’Église d’Afrique ; il chargea quatre évêques, Possidius, Florentus, Praesidius et Benenatus, de porter sa prière à Honorius, qui, n’ayant plus rien à craindre d’Attale dépouillé de la pourpre impériale, publia contre les donatistes des lois d’une excessive sévérité.

Augustin était retenu à Carthage par le concile de 410, lorsqu’il adressa à son clergé et à son peuple cette touchante lettre[1] où il les conjure de ne pas s’affliger de son absence, motivée par d’inévitables nécessités ; il reproche à ses frères tant aimés d’avoir manqué cette année à la pieuse coutume de vêtir les pauvres d’Hippone. Le bruit des ravages et des menaces d’Alaric avait rempli l’Afrique de terreur ; Hippone songeait à se fortifier et à se mettre en garde ; en l’absence de l’évêque, la, charité, moins vive, avait négligé les pauvres. Augustin, dans sa lettre, engageait son cher troupeau à ne pas se laisser abattre par les coups de la main de Dieu sur le monde, mais à redoubler leurs bonnes œuvres. « De même disait-il, qu’en voyant tomber les murs de sa maison, on se retire, en toute hâte, dans les lieux qui offrent un solide abri, ainsi les cœurs chrétiens, sentant venir la ruine de ce monde par des calamités croissantes, doivent s’empresser de transporter dans le trésor des cieux les biens qu’ils songeaient à enfouir dans la terre, afin que, si quelque catastrophe arrive, il y ait de la joie pour celui qui aura abandonné une demeure croulante. » En présence de tant de maux, les fidèles d’Hippone doivent se souvenir de ce mot de l’Apôtre : « Le Seigneur est proche, ne vous mettez en peine de rien. »

Le bruit de la prise de Rome par Alaric[2] avait retenti en Afrique comme un immense coup de tonnerre. Les peuples étaient consternés ; d’horribles destinées apparaissaient devant eux. Les païens considéraient les calamités de Rome comme un argument en faveur des dieux exilés ; les chrétiens courbaient la tête et n’osaient interroger la Providence. Augustin interrompit les murmures accusateurs des polythéistes et la stupeur muette des catholiques pour juger des hauteurs éternelles les événements humains et montrer quelle doit être la fermeté immobile des chrétiens au milieu des malheurs du monde. Les sermons du grand évêque sur la prise de Rome furent le développement éloquent de ces pensées. En apprenant comment un vrai disciple de l’Évangile reçoit les afflictions d’ici-bas, comment il garde sa sérénité au milieu des orages, les fidèles s’accoutumèrent peu à peu à regarder en face les désastres de l’Occident. Les païens, qui attribuaient la chute de Rome à la chute des dieux, trouvaient dans Augustin u il redoutable adversaire ; il prouvait que leurs accusations étaient des mensonges contre la raison et contre l’histoire, et faisait voir de lamentables calamités dans les âges antérieurs au christianisme. Il jetait ainsi dans des sermons la première idée de la Cité de Dieu.

Arrêtons-nous à un de ces sermons[3] ; nous

  1. Lettre 122.
  2. Alaric entra dans Rome la nuit du 24 août 410.)
  3. De urbis excidio. Œuvres de saint Augustin, tome VI ; édition des Bénédict.