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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

malade s’étant tout à coup trouvé mieux, on remit la cérémonie à un autre temps. Il était alors d’usage qu’on différât le baptême ; on attribuait aux fautes commises après la régénération sainte plus de gravité. Par quelles révolutions morales devra passer Augustin avant d’arriver à la régénération baptismale !

On sait l’aversion d’Augustin pour l’étude dans le premier âge de sa vie, sa violente aversion surtout pour l’étude du grec ; rien ne lui paraissait plus difficile que d’apprendre une langue étrangère ; mais il aimait le latin, qu’il avait appris sans méthode ni tourment, insensiblement, par une expérience de tous les moments, au milieu des caresses de sa nourrice, au milieu des jeux et des passe-temps de l’enfance. Ceux qu’on appelait alors des grammairiens initiaient Augustin dans les plus secrètes beautés de la langue de Virgile, et plus tard ce souvenir devint pour lui un remords : « Il lui fallait occuper son esprit des courses vagabondes de je ne sais quel Énée, tandis qu’il oubliait ses propres égarements ; il s’attendrissait sur la mort de Didon qui avait péri pour avoir trop aimé ce Troyen, et ne pleurait pas sur lui-même déjà mort, puisqu’il manquait d’amour pour Dieu[1] ! » Augustin met le simple avantage de savoir lire et écrire bien au-dessus des aventures d’Énée. Les voiles qui flottaient à la porte des écoles des grammairiens étaient comme un emblème des prétendus mystères renfermés dans les fables anciennes ; mais ces fables allégoriques, dit saint Augustin, annonçaient plutôt que les grammairiens cherchaient à cacher leurs erreurs ; il les appelle des vendeurs de grammaire, des acheteurs, et leur science ne lui inspire que dédains.

Les Confessions nous racontent que le fils de Patrice dérobait beaucoup de choses au logis, soit sur la table paternelle, soit dans le meuble où l’on enfermait les provisions ; il lui arrivait de n’être vainqueur dans ses jeux que par supercherie ; ainsi la corruption, observe saint Augustin, entre de bonne heure dans le cœur des enfants : « Tels ils sont alors au sujet de leurs noix, de leurs balles, de leurs oiseaux, avec les maîtres et les surveillants, tels ils deviennent par la suite à l’égard des rois et des magistrats pour de l’argent, des terres, des esclaves ; c’est le même fonds de corruption dont les années changent seulement les effets, de même qu’aux légers châtiments des écoles succèdent les supplices et les bourreaux. C’est donc seulement la petite stature des enfants que vous avez considérée, ô mon Sauveur et mon roi, comme un symbole d’humilité, lorsque vous avez dit en les montrant : Le royaume des cieux est à qui leur ressemble[2]. »

Madaure[3] (aujourd’hui Mdaourouche), sept lieues de Thagaste, plus importante que la ville natale d’Augustin, offrait des ressources pour l’étude des lettres humaines. Augustin y fut conduit à seize ans. Bientôt les écoles de Madaure ne suffirent plus à son savoir et à son intelligence ; son père songea à le conduire à Carthage. Le voyage était long, le séjour et les études dans la métropole africaine coûtaient beaucoup d’argent ; Patrice était pauvre et mit tous ses soins à réunir la somme dont Augustin avait besoin. La postérité doit bénir la mémoire de ces pères généreux qui, frappés du naissant génie d’un fils, n’ont pas craint de tirer de leur pauvreté tout ce qu’il fallait pour ouvrir les portes de l’avenir à une jeune destinée.

Durant son séjour dans la maison paternelle, avant le départ pour Carthage, à cet âge ou le sang bouillonne et emporte un adolescent, Augustin ne put maîtriser ses penchants. Les Confessions nous parlent, avec l’expression d’un violent repentir, d’un vol de poires que commit alors le fils de Monique, avec une troupe de jeunes amis ; les poires n’étaient ni belles ni bonnes ; Augustin en avait de meilleures chez lui, ce qui ne l’empêcha pas d’aller secouer pendant la nuit le poirier du voisin, et d’en saisir les fruits qu’on jeta ensuite aux pourceaux. Cette espièglerie d’écoliers revint avec amertume dans le souvenir du saint évêque d’Hippone.

À la fin de l’année 370, Augustin prenait place au premier rang dans les écoles de rhétorique à Carthage ; les séductions d’une grande cité ne manquèrent pas d’avoir prise sur ce cœur si ardent ; les joies du théâtre entrèrent pour beaucoup dans la vie du jeune étudiant[4]. La coupable liaison d’Augustin avec une femme nous rappelle ses pleurs pénitents ; il lui demeura fidèle quatorze ans ; cette constance ne

  1. Confessions, livre ier, chap. 13.
  2. Confessions, livre Ier, chap. 19.
  3. Ptolémée écrit Maduros ; on écrit aussi Mataure. On trouve dans la notice de Numidie : Episcopus Metaurensis.
  4. Le deuxième chapitre du troisième livre des Confessions explique parfaitement les sources du plaisir et de l’intérêt qu’on trouve aux spectacles.