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chapitre vingt-cinquième.

doit les effacer tous également. Il trace la peinture d’une ville dont les citoyens sont traînés au supplice, et sollicite la générosité d’Augustin. « Que le Dieu souverain vous garde, » ajoute-t-il en terminant sa lettre, « qu’il vous conserve comme l’appui de la loi et comme notre ornement. »

L’évêque d’Hippone, dans sa réponse[1] à cette lettre, demande à Nectarius à quoi bon la peinture d’une ville dont les citoyens sont livrés aux supplices, et quelles nouvelles ont pu le porter à de sinistres pressentiments ; s’il sait que Possidius ait obtenu quelque chose d’aussi sévère contre les païens de Calame, pourquoi n’en informe-t-il pas positivement Augustin, qui travaillerait à empêcher l’exécution de pareils jugements ? Augustin n’a jamais pensé qu’il fallût condamner les païens de Calame à la mort, ni même à la dernière misère ; il se regarde comme outragé par certaines instances de Nectarius. Seulement, le vieillard de Calame doit trouver bon que les païens qui pillent les catholiques ou les tuent, et qui brûlent leurs maisons, soient au moins retenus par la crainte, non pas d’être réduits au sort de Quintius, de Fabricius ou de Rufin, deux fois consul, mais de perdre leur superflu. L’évêque explique que les peines infligées au nom du christianisme ont toujours pour but de rendre les hommes meilleurs. Augustin ignore l’issue de l’affaire de Calame ; elle est dans le secret des desseins de Dieu. Augustin réfute ensuite l’opinion sur l’égalité des péchés ; c’est en invoquant non pas les inspirations stoïciennes, mais les inspirations chrétiennes, que Nectarius parviendra à attirer la miséricorde sur Calame.

Les sollicitudes pastorales dans un temps de désordre, la lutte contre les donatistes, qu’il fallait à la fois vaincre et protéger, les sombres nuages qui chargeaient l’horizon de l’empire romain, répandaient de l’amertume sur les jours d’Augustin. Dieu était sa force et sa joie ; mais parfois la nature humaine faiblit, même chez l’homme le plus saint, et les témoignages de l’amitié arrivaient alors à l’évêque d’Hippone comme des consolations. On dit qu’il ne faut accepter que la moitié des louanges d’un ami ; mais quand ces louanges s’accordent avec la voix des contemporains, on doit les accueillir comme complétant le concert de tout un siècle. Sévère, évêque de Milève, qu’on appelait une moitié d’Augustin, tant ces deux âmes étaient unies, exprimait dans ses lettres[2] au pontife d’Hippone (409) le bonheur qui naissait pour lui de la lecture de ses ouvrages. Quelque douce que puisse être la présence d’Augustin, Sévère le possède plus en le lisant qu’en le voyant, car à la lecture il jouit paisiblement du grand docteur, et les agitations des affaires temporelles ne viennent pas le dérober à son amour. Il est ravi d’être si étroitement uni à Augustin, et de se voir en quelque sorte collé à ses mamelles pour recevoir ce qui coule de leur plénitude.

« Ô abeille de Dieu, lui dit-il, véritablement habile à faire un miel plein du nectar divin et d’où s’écoulent la miséricorde et la vérité ! Mon âme y trouve ses délices, et s’efforce de réparer et de soutenir, à l’aide de cette nourriture, tout ce qu’elle trouve en elle de misère et de faiblesse. Le Seigneur est béni par votre bouche et par votre fidèle ministère. Vous vous faites si bien l’écho de ce que le Seigneur vous chante et vous y répondez si bien, que tout ce qui part de sa plénitude pour venir jusqu’à nous, reçoit plus d’agrément en passant par votre beau langage, votre netteté rapide, votre fidèle, chaste et simple ministère ; vous le faites tellement « resplendir par la finesse de vos pensées et par vos soins, que nos yeux en sont éblouis, et que vous nous entraîneriez vers vous, si vous-même vous ne nous montriez du doigt le Seigneur et ne nous appreniez à lui rapporter tout ce qui brille en vous, et à reconnaître que vous n’êtes aussi bon que parce que Dieu a mis en vous quelque chose de sa bonté, que vous n’êtes pur, simple et beau, que par un reflet de sa pureté, de sa simplicité, de sa beauté. »

Sévère parle à l’évêque d’Hippone de ces fruits heureux qui naissent de la fécondité de son âme. Augustin nous porte à l’amour du prochain, qui est le degré par où on s’élève à l’amour de Dieu. Ces deux sentiments se tiennent. On est pour ainsi dire sur le bord de l’amour de Dieu, quand on aime le prochain.

Augustin[3] se plaignait de tant d’éloges, quoiqu’ils fussent dictés par la sincérité. Lorsqu’il se voit loué par un ami, il lui semble qu’il se loue lui-même, et cela ne lui paraît pas soutenable. Les deux âmes d’Augustin et de Sévère n’en font qu’une ; Sévère a pu se tromper en croyant voir dans Augustin ce qui n’y est point,

  1. Lettre 104.
  2. Lettre 109.
  3. Lettre 110.