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histoire de saint augustin.

munauté de peines et d’épreuves avec les fidèles de la grande métropole.

En même temps, l’évêque d’Hippone recommandait les donatistes à la clémence de Donat, proconsul d’Afrique ; il le suppliait de ne pas proportionner les peines à la grandeur de leurs crimes, mais de les adoucir selon l’esprit du christianisme : il l’en conjurait par le sang de Jésus-Christ. « Nous ne cherchons pas ici-bas, disait-il au proconsul, à nous venger de nos ennemis, et quelles que soient nos souffrances, nous ne devons pas oublier les prescriptions de celui pour la vérité et le nom duquel nous souffrons : nous aimons nos ennemis et nous prions pour eux. » L’évêque demande au proconsul d’oublier qu’il a puissance de vie et de mort, et de se souvenir seulement des prières qu’il lui adresse : ce n’est pas une petite chose de vouloir empêcher qu’on n’ôte la vie à ceux dont on désire le retour à Dieu. Les ecclésiastiques seuls portaient devant le proconsul les affaires qui regardaient l’Église ; si le proconsul applique la peine de mort aux donatistes dont on aura à se plaindre, les prêtres et les évêques refuseront de traduire les coupables devant son tribunal ; et les ennemis de l’Église, voyant que les catholiques aiment mieux se laisser ôter la vie que de la leur faire perdre par la sévérité des jugements, se déchaîneront contre eux en liberté. « Quand même je ne serais pas évêque, ajoute Augustin, et quand même vous seriez encore plus haut placé que vous n’êtes, je pourrais m’adresser encore à vous avec grande confiance. » L’évêque désire qu’il n’y ait pas de condamnation sans explication ou conférence qui éclaire l’esprit du coupable. Il finit sa lettre par ces paroles, où sa nature douce et compatissante se révèle : « Quoiqu’il s’agisse de ramener d’un grand mal à un grand bien, ce serait une entreprise plus laborieuse que profitable, de réduire les hommes par la force, au lieu de les gagner par voie d’instruction et de persuasion. »

Dans une lettre[1] au prêtre Deogratias, en réponse à des questions posées par un païen, Augustin, s’expliquant sur la destinée des âmes avant l’avènement de Jésus-Christ le seul Sauveur, dit ces belles paroles dont la pensée a été reproduite tant de fois : « La différence des cérémonies selon les temps et les lieux importe peu, si ce qu’on adore est saint, de même que peu importe la diversité des sons au milieu de gens de diverses langues, si ce qu’on dit est vrai : il y a ici une seule différence, c’est que les hommes peuvent, par un certain accord de société, former des mots pour se communiquer leurs sentiments, et que les sages, en matière de religion, se sont toujours conformés à la volonté de Dieu. Cette divine volonté n’a jamais manqué à la justice et à la piété des mortels pour leur salut, et si chez divers peuples il y a diversité de culte dans une même religion, il faut voir jusqu’où vont ces différences et concilier ce qui est dû à la faiblesse de l’homme et ce qui est dû à l’autorité de Dieu. » Le Christ, dit encore Augustin dans cette lettre, est la parole éternelle de Dieu, qui a toujours été et sera toujours la même, d’abord figurée par la loi mosaïque, puis réalisée par la loi chrétienne. Les Hébreux furent une nation toute prophétique.

Les désordres de Calame n’étaient point encore expiés ; les coupables ignoraient le sort qui les attendait ; mais des craintes vives régnaient parmi les païens de la ville. Le vieux Nectarius, au mois de mars 409, s’adressa[2] une seconde fois à l’évêque d’Hippone, dont il avait éprouvé déjà la miséricorde. Il lui parle de sa réponse à la première lettre, réponse où il avait cru retrouver Cicéron lui-même. Il a lu avec plaisir et reconnaissance ce qu’Augustin lui a dit de la religion, des hommages qui sont dus au culte du Dieu souverain et de la céleste patrie. La merveilleuse ville que le grand docteur lui présentait comme but de ses efforts n’est pas fermée de murailles ; ce n’est pas même celle que des philosophes appellent la commune patrie, et qui n’est autre que le monde ; c’est celle que Dieu même habite, et avec lui toutes les âmes qui l’ont servi : nos pensées peuvent y atteindre, mais nos paroles seraient impuissantes à la décrire. Quoique cette invisible patrie doive être l’objet principal de notre ambition et de nos vieux, il ne faut pas pourtant négliger celle qui nous a vus naître, qui nous a nourris et formés, puisque, d’après plusieurs grands hommes, il y a dans le ciel d’éternelles demeures préparées pour ceux qui auront servi leur patrie sur la terre. Nectarius part de là pour revenir à sa ville de Calame, dont la destinée le préoccupe. Il dit que les coupables demandent pardon, et que tous les péchés étant égaux, selon l’opinion des stoïciens, le repentir

  1. Lettre 102.
  2. Lettre 103.