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histoire de saint augustin.

mots. La terreur des lois toute seule eût été impie ; l’instruction l’accompagnait : en même temps qu’on donnait l’éveil aux populations, on leur offrait les moyens de dissiper les ténèbres de leur erreur. C’est ainsi qu’on les amenait à bénir Dieu de ce qu’ayant fait plier les rois de la terre sous le joug de Jésus-Christ, il se servait d’eux pour guérir les malades et aiguillonner les faibles et les paresseux. On amenait les donatistes à comprendre que l’unité de Dieu demande qu’on l’adore dans l’unité. L’Église ne cessait pas d’aimer ; elle imitait Dieu lui-même, dont l’amour est grand pour les hommes, et qui mêle pourtant aux douceurs de ses enseignements la terreur de ses menaces.

Jésus-Christ a dit que nul ne vient à lui si son père ne l’entraîne. Le cœur humain est ainsi fait, qu’il a besoin d’une sorte de violence pour aller au bien.

Vincent faisait observer à Augustin que ni le Sauveur ni les apôtres n’avaient jamais eu recours aux rois. L’évêque répond qu’à cette époque les rois de la terre n’étaient pas instruits de la vérité, et que les paroles de l’Ecriture n’avaient point atteint leur accomplissement.

« Devais-je arrêter les conquêtes du Seigneur et me mettre en opposition avec mes collègues ? Fallait-il empêcher que les brebis du Christ, errantes sur vos montagnes et vos collines, c’est-à-dire sur les hauteurs de votre orgueil, fussent réunies dans le bercail de la paix, où il n’y a qu’un seul troupeau et un seul pasteur ? Fallait-il que j’empêchasse que vous ne perdissiez vos biens et que vous continuassiez à proscrire tranquillement le Christ ; fallait-il qu’on vous laissât faire, d’après le droit romain, des testaments, et que vous déchirassiez par vos calomnieuses accusations le testament fait à nos pères de droit divin, ce testament où il est écrit : Toutes les nations seront bénies en votre race ? Pourquoi seriez-vous restés libres d’acheter et de ri vendre, pendant que vous auriez osé diviser ce que le Christ a acheté en se laissant vendre lui-même ? Pourquoi les donations faites par chacun de vous demeureraient-elles valables, tandis que la donation faite par le Dieu des dieux à ses fils, de l’aurore au couchant, ne serait pas valable à vos yeux ? Pourquoi n’auriez-vous pas été exilés de la terre où votre corps a pris naissance, pendant que vous exilez le Christ du royaume conquis au prix de son sang, d’une mer à l’autre, et depuis le fleuve jusqu’aux extrémités du monde[1] ? Que les rois de la terre servent le Christ, même en donnant des lois pour le Christ. Vos ancêtres ont demandé aux rois de la terre que Cécilien et ses compagnons fussent punis pour des crimes faux ; que les lions se tournent contre les calomniateurs, « pour briser leurs os, sans que Daniel intercède pour eux, Daniel, dont l’innocence a été prouvée, et qui a été délivré de la fosse où ceux-ci périssent : car celui qui creuse la fosse à son prochain y tombe lui-même en toute justice. »

Quand le glaive des puissances temporelles attaque la vérité, il est pour les forts une épreuve glorieuse, et pour les faibles une dangereuse tentation ; mais, ajoute Augustin, quand il est tiré contre l’erreur, il est pour les gens sages engagés dans l’erreur un avertissement salutaire.

Le reste de la lettre est une éloquente défense de l’Église catholique contre les donatistes et leurs sectes diverses. En rappelant les paroles si expresses des livres divins : « L’entendez-vous ? s’écrie l’évêque d’Hippone, c’est le Seigneur qui parle ; ce n’est ni Donat, ni Vincent, ni Hilaire, ni Ambroise, ni Augustin… et vous, vous restez assis à Cartenne, et vous répétez avec une douzaine de rogatistes : Qu’il n’en soit rien, qu’il n’en soit rien. » Ailleurs le grand docteur met en regard l’autorité de Jésus-Christ répandue aux quatre coins de l’univers, et l’autorité d’un certain Vincent caché dans un coin de la Mauritanie césarienne ! Il s’étonne de tout ce que peut l’orgueil d’une petite peau cadavéreuse[2], et jusqu’où peut se précipiter la présomption de la chair et du sang. Obligé de revenir sur l’illustre Cyprien, invoqué par les donatistes, Augustin « finit par dire que s’il y a quelque chose à retrancher dans cette branche si féconde, le fer du père de famille y a passé, et le feu du martyre l’a consumé. »

La répression des hérétiques par la force matérielle est une mesure dont l’exécution serait aujourd’hui peu conforme aux vœux et aux pensées du monde chrétien. L’office de l’historien est d’expliquer les choses du temps passé. On a vu l’évêque d’Hippone protester contre les violences à l’égard des hérétiques ; il a fallu

  1. Ps. 71, v. 8.
  2. Quid non audeat typhus morticina ; pelliculæ ?