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histoire de saint augustin.

gradins, les loges, les passages par où entraient et sortaient les acteurs, sont d’une remarquable conservation. Nous voudrions ne pas dire que les Français ont enlevé les assises en marbre des gradins pour restaurer les murs de leur camp. Le théâtre pouvait contenir environ 4,200 spectateurs. Il est tourné vers le point où le paysage se déploie avec le plus de grâce, d’animation et d’éclat : de ce côté, les charmants contours de la Seybouse tracent un demi-cercle à travers une magnifique plaine ; au pied de riantes collines qui perdent graduellement leurs riches teintes à mesure qu’elles s’élèvent, et dont la magnificence finit par se fondre dans le gris des montagnes à l’horizon. Les Grecs donnaient à leurs théâtres les plus beaux points de vue, et les Romains, qui avaient hérité de ce goût, le portèrent dans toutes leurs conquêtes.

La partie des anciens murs de Calame, dont la trace seule existe, se présente sur deux mètres de largeur ; une forte maçonnerie unit les pierres. On remarque, de distance en distance, des vestiges de tours. La partie des murailles qui environne le camp français offre aussi des abris réservés aux défenseurs de la place ; mais, construits à des époques postérieures, ils sont carrés au lieu d’être ronds. Trois époques, sans parler des travaux français, se montrent dans les murailles de Calame : la première époque romaine, dont les pierres cimentées, renversées par les révolutions et le temps, sont descendues aujourd’hui au niveau du sol, la deuxième époque romaine, où le ciment romain apparaît moins, et qui nous présente de grandes pierres de taille, rangées solidement et avec art ; enfin la troisième époque, que nous croyons se rapporter à la domination des Vandales, et dont le caractère est grossier : les pierres de taille sont imparfaitement unies les unes aux autres et sans aucune trace de ciment ; des inscriptions, souvent renversées, placées çà et là dans les murailles, attestent l’ignorance de ceux qui, les derniers, ont remué ces pierres.

Deux arcades faisant suite l’une à l’autre attirent les regards et produisent un certain effet sur le point où l’enceinte de Calame se creuse et forme comme un grand ravin : à la vue de cet espace dépouillé, on sent qu’une ville a passé par là ; c’est comme le lit funèbre d’une cité.

Nous n’avons pas le temps de nous arrêter aux débris de colonnes, aux autels votifs, aux chapiteaux, aux instructions tumulaires païennes qui abondent à Calame[1] ; nous aimons mieux mentionner le chandelier et la croix[2] en bronze massif trouvés non loin de la cité romaine, et quelques inscriptions chrétiennes, dont l’une[3], sur une pierre de la muraille de Ghelma, brisée dans toute sa hauteur, redit les noms de Vincent et de Clément, martyrs. Ces souvenirs catholiques donnent en quelque sorte une patrie à nos frères de France que la conquête retient dans de lointains pays souvent déserts ils nous charment et nous ravissent, pendant que nous remplissons la grande tâche à laquelle nous nous sommes dévoués[4].

Peu de temps après son retour à Hippone, Augustin reçut d’un vieillard païen de Calame, appelé Nectarius, une lettre qui sollicitait sa pitié en faveur des coupables. Le vieux Nectarius commence par dire qu’on aime sa patrie plus encore que sa famille elle-même, et, rappelant un mot tiré de la République de Cicéron, ajoute que l’homme de bien ne pense jamais avoir assez fait pour son pays. La vieillesse ne fait qu’accroître cet amour de la patrie ; ce n’est pas avec un homme tel qu’Augustin qu’il faut s’étendre sur de semblables vérités. Nectarius aime Calame parce qu’il y est né, parce qu’il a eu le bonheur de faire quelque bien à la cité de son berceau. Il tremble sur les périls où l’ont jeté les égarements de son peuple. Mais voici qui est curieux dans la bouche d’un païen. Nectarius regarde comme un devoir pour un évêque de secourir les hommes, de les protéger et de demander à Dieu le pardon de leurs fautes. Il avoue que le tort du peuple de Calame est sans excuse, mais il conjure Augustin d’épargner aux coupables les dernières rigueurs et de ne pas laisser frapper les innocents. Augustin, dans une réponse[5] d’où nous avons tiré le récit des désordres de Calame, lui fit entendre que ce sont les bonnes mœurs et l’exécution des lois qui rendent les pays prospères ; que Calame devait être punie, et que les beaux jours de sa patrie seraient ceux où les abominations païennes feraient

  1. Nous avons vu à Ghelma plusieurs médailles en cuivre, presque toutes à l’effigie de Constantin, trouvées sur l’emplacement de Calame. Nous avons vu aussi quelques médailles numides en plomb, représentant un cheval nu. On a trouvé à Ghelma une fort belle médaille en or, appartenant aux âges chrétiens.
  2. La croix en bronze a été trouvée dans des fouilles près de la briqueterie, le 5 janvier 1843. Nous possédons un dessin de cette croix.
  3. Cette inscription, qui est de six lignes, a plusieurs lettres entièrement effacées ou mutilées. Elle est fort difficile à saisir dans son ensemble.
  4. Voyez dans notre Voyage en Algérie, Études africaines, le chapitre 14 sur Ghelma ou Calame.
  5. Lettre 91.