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chapitre vingt-unième.

stantine, et la lettre d’Augustin demeura bien longtemps sans prendre le chemin de Bethléem.
Deux ans plus tard (397), Augustin, successeur de Valère, s’adressait encore à Jérôme[1]. Il se félicitait d’avoir reçu du célèbre docteur une petite lettre en échange d’une simple salutation ; Augustin offre à Jérôme un commerce de lettres en des termes pleins de respect et d’affection ; si ce n’était pas le connaître que de ne pas voir son visage, Jérôme ne se connaîtrait pas lui-même, car il ne se voit pas. C’est par l’esprit que Jérôme se connaît, et c’est aussi par là qu’Augustin le voit ; il bénit Dieu d’avoir fait Jérôme tel qu’il est. On avait dit à Augustin que le livre des Écrivains ecclésiastiques portait le titre d’Épitaphe ; il est surpris d’un pareil titre, puisqu’il s’applique à un ouvrage qui parle des vivants comme des morts. Puis revient la grande question de l’Épître aux Galates.
L’évêque d’Hippone rappelle les inconvénients graves d’une supposition qui fait entrer le mensonge, ne fût-ce que pour une fois, dans les livres divins. Il croit inutile de s’étendre là-dessus avec un homme qui a besoin d’un seul mot pour découvrir toute la portée des choses. Il n’a pas l’ambition d’enrichir de son humble obole le brillant génie que Jérôme a reçu par un présent divin : nul n’est plus propre que lui, Jérôme, à corriger ce qui a pu lui échapper en cet endroit de ses commentaires. L’Apôtre a dit qu’il s’est fait Juif avec les Juifs pour les gagner ; mais ceci n’indique qu’une charité compatissante au lieu d’une dissimulation : c’est ainsi qu’en servant un malade on se fait en quelque sorte malade avec lui pour mieux comprendre ses besoins. Paul avait gardé quelques cérémonies de la loi juive et les autorisait, mais il avertissait qu’il ne fallait pas y mettre son espérance ; ces cérémonies n’étaient que des figures de l’avènement du Seigneur Jésus. Voilà aussi pourquoi le grand Apôtre ne voulait pas charger les Gentils du pesant et inutile fardeau des observances légales auxquelles ils n’étaient pas accoutumés. Saint Paul ne reprit donc point saint Pierre de ce que celui-ci suivait les traditions de ses pères, mais de ce qu’il obligeait les Gentils à Judaïser. Cette obligation marquait fort à tort la nécessité des cérémonies juives après la venue de Jésus-Christ. Saint Pierre savait ce que Paul lui dit alors : sa condescendance pour les habitudes juives lui fit commettre cette faute. La correction que reçut Pierre fut réelle. Ce que Paul avait rejeté chez les Juifs, c’était leur ignorance de la véritable justice de Dieu. C’était l’idée que les sacrements de l’ancienne loi demeurassent nécessaires après la passion et la résurrection du Sauveur ; Paul rejetait chez les Juifs leur haine pour les prédicateurs de la grâce de Jésus-Christ. Voilà ce que Paul réprouvait.
Augustin veut donc que Jérôme s’arme d’une sainte sévérité contre lui-même, qu’il corrige son propre ouvrage, qu’il chante la palinodie, puisque la vérité des chrétiens est plus belle que l’Hélène des Grecs. Les martyrs ont combattu plus courageusement pour la vérité chrétienne contre la Sodome du siècle, que les héros de la Grèce ne combattirent pour Hélène contre la ville de Troie. Quand même Jérôme aurait raison, il devrait pardonner à Augustin ses craintes ; si un autre peut faire servir la vérité à favoriser le mensonge ce serait de la part de l’évêque d’Hippone une bien légère faute de s’être laissé prévenir d’une erreur qui favoriserait la vérité. À la fin de sa lettre, Augustin demande à Jérôme de lui marquer les diverses aberrations d’Origène, et regrette que, dans le livre des Écrivains ecclésiastiques, il n’ait pas indiqué les erreurs des auteurs hérétiques.
Le porteur de cette lettre était un prêtre d’Afrique appelé Paul. Malheureusement des copies de la lettre, contre l’intention d’Augustin, circulèrent en Italie avant même qu’elle arrivât en Palestine. Le bruit de l’épître d’Augustin et une copie même de cette épître étaient parvenus à Jérôme avant le message à son adresse. On lui avait parlé d’un livre fait contre lui par l’évêque d’Hippone et envoyé à Rome. Augustin eut vent de toutes ces méprises, et connut les fâcheux retards des deux messages. Il se hâta d’écrire à Jérôme[2] ; c’était dans les premiers mois de 402. Il prit Dieu à témoin qu’il pouvait se rencontrer dans ses ouvrages quelques opinions contraires à celles de Jérôme, mais qu’il ne l’avait jamais attaqué ; il gémissait qu’une si longue distance le séparât de ce grand homme et le privât du bonheur de ses entretiens.
Il y avait sept ans qu’Augustin avait entamé la question de l’épître aux Galates, et Jérôme

  1. Lettre 11.
  2. Lettre 67.