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histoire de saint augustin.

CHAPITRE VINGT-UNIÈME.




Dispute de saint Augustin avec saint Jérôme.

Nous n’avons rien voulu dire encore de la dispute d’Augustin avec Jérôme ; nous aurions été obligé de devancer les dates de notre récit pour étudier et suivre les développements et la conclusion de cette dispute mémorable. Elle se termine en 405 ; c’est la date à laquelle nous sommes parvenus, et, jetant maintenant nos regards en arrière, nous pourrons tout saisir sans interruption et sans désordre.

Citons d’abord le passage de l’Épître de saint Paul aux Galates qui donna lieu à cette vive correspondance entre deux grands hommes, deux grands saints : « Or, Céphas (Pierre) étant venu à Antioche, je lui résistai en face parce qu’il était répréhensible. Car avant que quelques-uns fussent venus d’auprès de Jacques, il mangeait avec les Gentils ; mais après leur arrivée, il se retirait et se séparait des Gentils, ayant peur de blesser les circoncis. Les autres Juifs usèrent aussi de cette dissimulation, et Barnabé même s’y laissa aussi entraîner. Mais quand je vis qu’ils ne marchaient pas droit selon la vérité de l’Évangile, je dis à Céphas devant tout le monde : Si vous qui êtes Juif, vous vivez comme les Gentils et non pas comme les Juifs, pourquoi contraignez-vous les Gentils à judaïser[1] ? »

Dans son commentaire des Épîtres de saint Paul, Jérôme, arrivant au passage que nous venons de transcrire, avait pensé que le blâme infligé à saint Pierre fut une sorte de mensonge officieux. La piété d’Augustin repoussait cette interprétation. Au commencement de l’année 395, Augustin, encore simple prêtre de l’Église d’Hippone, âgé de quarante et un ans, écrivit[2], pour la première fois, à l’illustre solitaire de Bethléem, âgé alors de soixante-quatre ans ; il avait eu de ses nouvelles par son cher Alype, qui, en 393, s’était rendu en Palestine. Dans cette lettre, Augustin commençait par dire à Jérôme qu’il connaissait les paisibles joies de ses études dans le Seigneur aussi bien qu’on peut connaître quelqu’un en ce monde. Ce qu’il ignore de Jérôme, c’est la moindre partie de lui-même : sa personne. Encore peut-il dire que la peinture faite par Alype, cette moitié d’Augustin, lui a mis Jérôme tout vivant devant les yeux. Le prêtre d’Hippone, au nom de tous les chrétiens studieux d’Afrique, demandait à Jérôme qu’il voulût bien traduire en latin les interprètes grecs des Livres saints. Il aurait voulu le détourner d’une traduction nouvelle des Livres sacrés sur l’hébreu, pensant que rien d’important n’avait pu échapper aux Septante. Augustin arrivait ensuite au passage de l’Épître aux Galates. Il lui paraissait pernicieux de pouvoir admettre que les auteurs inspirés eussent usé de mensonge sur un point. Ce serait une porte ouverte aux plus désastreuses tentatives contre la foi. Les endroits de l’Ecriture dont on s’est servi pour prouver qu’il est bon ou permis de mentir, ont souffert une interprétation violente. Augustin appelle sur cette question l’attention sérieuse du grand commentateur de Bethléem. Cette lettre devait être confiée à Profuturus, qui se préparait à partir pour la Palestine ; il s’était chargé de porter à Jérôme quelques ouvrages d’Augustin, dont celui-ci demandait l’examen sévère. Augustin lui rappelait ces paroles de David : « Le juste me reprendra et me corrigera avec miséricorde ; mais l’huile du pécheur ne touchera point ma tête. » Il avoue à Jérôme qu’il est presque toujours mauvais juge de ses propres ouvrages, tantôt par trop de défiance, tantôt par contentement de lui-même ; il voit quelquefois ses fautes, mais il préfère que des hommes plus habiles les lui signalent. Au moment où Profuturus se préparait à se mettre en route, il fut forcé d’accepter le gouvernement épiscopal de l’Église de Con-

  1. Ch. II, v. 11, 12, 13,14.
  2. Lettre 28.