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histoire de saint augustin.

voie. La main de la vérité avait placé une lampe dans le cœur d’Augustin, mais il ne fallait pas que les voleurs vinssent piller son trésor ; c’était à l’amitié à ne pas permettre que cette maison, bâtie sur la pierre de la science, s’écroulât. En lisant les écrits d’Augustin, Secondinus y avait partout reconnu le grand orateur et presque le dieu de l’éloquence. « J’avoue, lui disait-il encore, que les marbres de la demeure d’Anicius brillent moins d’art et d’ordre que vos écrits ne brillent d’éloquence. Si vous aviez voulu la faire servir à la vérité, cette éloquence eût été pour nous une grande gloire. Je vous en prie, n’allez pas contre votre nature, ne soyez pas la lance de l’erreur, qui perça le côté du Sauveur… Qui vous défendra au tribunal du souverain juge, lorsque, sur votre propre témoignage, vous serez convaincu de vos discours et de vos œuvres ? Le Perse (Manichée) que vous avez accusé ne sera point présent. « Excepté lui, qui vous consolera dans vos larmes ? Qui sauvera le Punique ?… Plût à Dieu qu’en quittant Manichée vous fussiez allé à l’Académie, ou que vous eussiez commenté les guerres des Romains, qui triomphèrent de tout. Que de grandes et de belles choses vous y auriez trouvées ! Et vous, qui aimez la chasteté et la pauvreté, vous ne seriez pas allé à cette nation juive aux mœurs barbares, etc., etc. »

Secondinus, dans sa pitié pour un grand génie égaré, ajoutait ces paroles, en s’adressant à Augustin : « Oh ! je vous en prie, je vous en supplie, daignez m’accorder mon pardon, si votre cœur d’or est fâché de ce discours ; c’est un accès de zèle qui me presse ; je ne veux pas que vous soyez séparé de notre troupeau, de ce troupeau dont j’étais écarté, et loin duquel j’aurais péri si je n’avais, en toute hâte, renoncé à une communion inique… Laissez-là la gloire des hommes, si vous voulez plaire au Christ. Soyez, pour notre âge, un second Paul qui, étant docteur de la loi juive, obtint du Seigneur la grâce de l’apostolat, et méprisa comme de la boue toutes les douceurs pour gagner le Christ. Venez au secours de votre âme si brillante ; vous ne savez pas à quelle heure le voleur doit venir. Cessez d’orner les morts, vous qui êtes l’ornement des vivants. Ne marchez point dans la grande route qui fait face au pays des Amorrhéens, mais hâtez-vous d’entrer dans la voie étroite, pour gagner l’éternelle vie. Cessez d’enfermer le Christ dans le sein d’une femme, de peur que vous n’y soyez renfermé vous-même une seconde fois. Cessez de faire de deux natures une seule nature, parce que le jugement du Seigneur approche. Malheur à ceux qui changent en amertume ce qui est doux ! » Si Augustin nourrissait quelques doutes, Secondinus était tout prêt à lui rendre raison dans un paisible entretien. Toutefois, on ne doit pas s’attendre à tout expliquer : la raison divine surpasse les cœurs des mortels. Après avoir essayé de montrer ce qu’il entend par la vraie doctrine, Secondinus termine ainsi sa lettre :

« Lorsque j’expose de telles choses à votre admirable et sublime prudence, c’est comme si le Jourdain prêtait son eau à l’Océan, une lampe sa lumière au soleil, et le peuple sa sainteté à l’évêque. C’est pourquoi il faut supporter tout ce que renferme cette lettre. Si je n’avais connu votre divine patience, qui pardonne facilement à chacun, jamais je n’aurais écrit de la sorte, quoique vous puissiez voir que j’ai rapidement touché aux opinions les meilleures, et que j’ai pris garde de n’être pas long. Que ces choses trouvent donc créance auprès de votre sainteté, pour que nous soyons sauvés ensemble ; sinon vous pourriez tirer de là des milliers de volumes, ô maître bien digne d’être loué et honoré ! »

Telle est cette étonnante lettre, que nous devons croire l’expression d’un sentiment vrai, et qui annonce la considération, l’admiration profonde dont jouissait Augusti a dans les rangs mêmes de ses adversaires. Secondinus, tranquille dans son erreur, éprouva pour l’évêque d’Hippone cet intérêt vif et tendre que la vérité a fait éprouver plus d’une fois à l’égard des génies entraînés sur les routes du mal. Deux mots de cette lettre auraient été pourtant de nature à blesser le cœur d’Augustin ; c’était l’insinuation d’avoir quitté le manichéisme par crainte[1], et dans l’espérance d’avoir part à la gloire des hommes. Secondinus avait pu lire les Confessions et reconnaître quelle voie avait conduit Augustin au baptême catholique.

Ce qu’il y a de prodigieux dans cette pièce, c’est le reproche adressé au saint docteur de

  1. Recessionem tuam ad veritatem, quae per timorem facta est, converte. Dans la même phrase, Secondinus dit à Augustin : « Laisse la perfidie de la nation punique. »