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histoire de saint augustin.

Dieu et de l’âme humaine produite par la volonté de Dieu, fournit des subtilités et des échappatoires au prêtre manichéen à qui Augustin dit : Anathématisez l’opinion qu’une portion de Dieu ait pu être souillée et liée par la race des ténèbres. L’âme humaine, avec son libre arbitre, a pu se souiller, mais elle ne fait pas partie de la nature divine. L’erreur de Manichée, c’était d’imaginer qu’une autre puissance pouvait porter atteinte à l’essence divine. Félix insiste pour soutenir que les œuvres de Dieu sont égales à Dieu lui-même, immuables comme lui, et que l’âme humaine est une portion de Dieu.

Vaincu par l’argumentation lumineuse et irrésistible du grand évêque, Félix s’écrie enfin : « Dites-moi ce que vous voulez que je fasse. — Je veux, lui répond Augustin, que vous anathématisiez Manichée, dont les blasphèmes sont si grands. Si vous le faites d’esprit, faites-le, car personne ne vous y oblige. — Dieu voit, reprend Félix, si je le fais d’esprit ; l’homme ne saurait le voir : mais je vous demande de m’aider. — En quoi voulez-vous que je vous aide ? — Anathématisez le premier, et puis j’anathématiserai après. — Voilà ce que j’écris de ma main, réplique Augustin, écrivez de votre côté. — Anathématisez de telle sorte, ajoute Félix, que l’esprit qui fut dans Manichée et parla par son organe soit anathématisé. »

Augustin, prenant alors du papier, écrivit ces paroles : « Augustin, évêque de l’Église catholique, j’ai déjà anathématisé Manichée et sa doctrine, et l’esprit qui, par son organe, proféra d’exécrables blasphèmes, parce que c’était un esprit séducteur, non de vérité, mais d’erreur détestable ; et maintenant j’anathématise le susdit Manichée et l’esprit de son erreur. » Et Augustin ayant remis le papier à Félix, celui-ci ajouta de sa main ces paroles : « Moi, Félix, qui avais donné ma foi à Manichée, maintenant je l’anathématise, lui et sa doctrine, et l’esprit séducteur qui fut en lui, qui a dit que Dieu avait mêlé une portion de lui-même à la nation de ténèbres, et qu’il la délivrait honteusement en transformant ses vertus en femmes contre les hommes, ensuite en hommes contre les démons féminins[1], de manière qu’après cela il clouait à jamais les restes de sa portion divine au fond du globe de ténèbres. J’anathématise toutes ces choses et les autres blasphèmes de Manichée. »

Puis viennent les deux signatures d’Augustin et de Félix.

Telles furent les deux conférences qui avaient réuni une multitude nombreuse dans la basilique d’Hippone. Les assistants suivaient ces débats avec une attention profonde et un très-vif intérêt ; il s’agissait de s’instruire, d’avoir raison de sa foi et de marcher tête levée au milieu des ennemis de la religion catholique. Les matières de la philosophie religieuse étaient aussi familières aux chrétiens de cette époque que le sont à nos contemporains les matières politiques ; les discussions sérieuses sur le manichéisme et le donatisme attachaient les fidèles Africains aussi fortement que nous attachent aujourd’hui les débats d’où dépendent la paix ou la guerre, la gloire ou l’humiliation des empires, la prospérité ou la ruine des nations.




CHAPITRE VINGTIÈME.




Le livre de la Nature du bien, contre les manichéens. — Le livre contre Secondinus.

(405.)

Il y aurait un ouvrage à faire sur les perpétuels obstacles que la vérité rencontre sur sa route, et cet ouvrage serait la meilleure histoire de l’esprit humain. L’ignorance, la mauvaise foi, l’habitude, l’orgueil, se liguent entre eux pour empêcher la vérité de passer ; les intérêts se mêlent au complot, et donnent mille prétextes à une résistance calculée. La

  1. Ces hymens monstrueux sont décrits avec détails dans l’écrit de Manichée, intitulé le Trésor, au viii- siècle livre.