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chapitre seizième.

sont à plaindre les animaux qui, sortant de leurs corps, ne peuvent entrer dans les vôtres ![1] »

Fauste n’avait rien vu dans les prophètes hébreux qui annonçât le Messie ; le même Fauste déclare accepter pleinement le témoignage de saint Paul. Or, le grand Apôtre parle de l’Évangile comme ayant été promis par les prophètes dans les Écritures[2], et dans plus d’un passage de ses épîtres, il considère Jésus-Christ comme la perfection et le complément de l’ancienne loi. Augustin passe en revue tous les points par lesquels l’antique parole hébraïque a prophétisé le règne spirituel du Christ. Il trouve dans les six jours de la Genèse et dans le repos du septième jour une figure de l’histoire tout entière du genre humain. Les six jours que Dieu employa pour la consommation de ses œuvres, ce sont les six âges de l’humanité en ce monde à travers la succession des temps. Avant saint Augustin, quelques autres chrétiens, entre autres Lactance, avaient vu dans les six jours de la création une représentation prophétique des six mille ans qui devaient être la durée du monde. D’après l’interprétation d’Augustin, l’espace depuis Adam jusqu’à Noé comprend le premier âge ; depuis Noé jusqu’à Abraham, le second ; depuis Abraham jusqu’à David, le troisième ; depuis David jusqu’à l’émigration à Babylone, le quatrième ; depuis l’exil à Babylone jusqu’à l’humble avènement du Sauveur, le cinquième. L’âge où nous sommes, l’âge chrétien, est le sixième ; il durera jusqu’au jugement solennel du genre humain. Le septième jour, qui fut pour le Seigneur le jour de repos, est une image du repos des saints dans la vie à venir : ce septième jour n’a pas de soir ; rien n’y décline, rien n’y périt. C’est dans le sixième jour de la Genèse que l’homme est créé à l’image de Dieu ; dans l’âge actuel, qui est l’âge chrétien, un esprit nouveau nous est donné par une création nouvelle à l’image de notre Dieu. De même que la femme fut tirée du premier homme endormi, ainsi l’Eglise est née du sang du Christ mourant.

Moïse avait dit : « Maudit soit tout homme qui aura été suspendu sur un bois[3] ! » Fauste, qui prétend aimer le Christ, déteste Moïse à cause de cette malédiction lancée, selon le manichéen, contre Jésus crucifié. Mais si le Christ fut pendu à un gibet, si ses mains et ses pieds furent percés de clous, le Christ avait donc un corps vulnérable et mortel, et c’est ce que les manichéens n’avaient jamais voulu admettre. Si les blessures et les cicatrices du Christ n’eurent rien de réel, il est faux qu’on l’ait attaché à une croix. Fauste ne pouvait donc citer ici Moïse qu’en reniant un des points les plus capitaux des doctrines des manichéens vis-à-vis de Jésus-Christ. Augustin, expliquant ensuite la malédiction de Moïse, rappelle que la mort a été produite par le péché, que le Christ n’a point commis le péché, et fait observer que la malédiction de Moïse porte sur le péché seul et sur la chair corrompue.

Les manichéens, définissant à leur manière le mystère du Dieu en trois personnes, disaient que le Père habitait dans une certaine lumière secrète, que la vertu du Fils habitait dans le soleil, sa sagesse dans la lune, et que l’Esprit-Saint habitait dans l’air. Augustin démontre philosophiquement tout ce qu’il y a d’absurde dans cette manière de comprendre la Trinité. Il fait voir que le manichéisme et ses chimères se trouvent infiniment au-dessous du paganisme, qui s’appuyait au moins sur des réalités. L’hypothèse du principe créateur de la matière, appelé hyle, principe en dehors de Dieu, est mise en pièces avec une merveilleuse abondance d’arguments et d’idées. Le souvenir de ses erreurs passées revient de temps en temps à l’esprit d’Augustin : « Ô Église catholique ! s’écrie-t-il, que mes périls vous servent, vous à qui sert aujourd’hui ma délivrance ! »

Augustin venge la mémoire des patriarches et des prophètes attaqués par les manichéens[4]. Non-seulement le langage, mais encore la vie même de ces personnages, fut prophétique. Le royaume tout entier des Hébreux fut prophète. La secrète sagesse de Dieu se révélait dans les actes des personnages bibliques aussi bien que dans leurs paroles. Cette nation était comme une grande image de l’avenir. Augustin entre dans un examen approfondi des actions des patriarches et des prophètes, et discute leur moralité. Un péché, c’est un désir, une parole ou une action contraire à la loi éternelle. La loi éternelle, c’est la volonté divine ou la volonté de Dieu. L’homme est corps et âme, mais c’est dans l’âme seule que se retrouve l’image de Dieu. Augustin justifie Abraham d’avoir eu commerce avec Agar et d’avoir fait passer Sara pour sa sœur auprès de Pharaon. Quant à ce

  1. Livre VI, § 6.
  2. Rom. I, 1-3.
  3. Deut. XVII, 3.
  4. Livre XXII.