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mes et la noblesse des gestes, on conçoit qu’une pareille danse ait un plein succès. Dans l’origine elle était exécutée sur les champs de bataille, autour des guerriers morts. De là vient que la femme peut à son gré y figurer ou se borner au rôle de spectatrice. De là vient encore que toute hongroise se compose nécessairement de deux parties : l’une, grave et mélancolique, dédiée à ceux qui ont succombé ; l’autre, vive et entraînante, qui exalte les guerriers survivants.

L’originalité des hongroises est dans cette constante opposition, dans la rapide et brusque succession des sentiments. La mélancolie qu’elles expriment ne rappelle pas la tristesse harmonieuse des airs bohémiens : elle a je ne sais quoi de saccadé, d’impatient, qui fait pressentir les notes brûlantes qui suivent. Celles-ci respirent l’impétuosité, la fougue, et il leur faut le bruit de l’éperon, qui approche du cliquetis du sabre. Le caractère du Hongrois est peint dans cette musique et dans cette danse. La mélancolie rêveuse qui s’empare de lui quand il évoque certains souvenirs disparaîtra sous des paroles enthousiastes, s’il parle de sa patrie, aussi rapidement que les phrases vives et animées, dans l’air national, succèdent aux tons graves et plaintifs. Puisse-t-il dans sa double mélodie trouver une prophétie heureuse ! Si le passé est douloureux, l’avenir, brillant peut-être, l’avenir, qu’il appelle de ses vœux ardents, ne lui appartient-il pas ?…