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Une nuit je me rencontrai, dans une auberge écartée, avec quelques csikós qui buvaient ensemble. Ils étaient assis sur leurs talons, autour d’une chandelle placée par terre. L’hôtelier, vieux juif à figure de renard, n’entrait dans la salle que pour emporter les bouteilles vides et en servir d’autres. La conversation s’anima par degrés entre les buveurs. De temps à autre ils chantaient un de ces airs populaires comme on en entend sur les bords de la Theïss ; quelquefois ils s’interrompaient pour s’envoyer des plaisanteries, qui étaient à l’instant relevées avec verve. L’un d’eux s’était un jour avancé jusqu’à peu de distance de Bude, et avait aperçu des montagnes. Il expliqua aux autres l’impression qu’il avait ressentie à la vue de ces murs gigantesques. Les montagnes pesaient sur sa poitrine, et il les avait fuies comme on fuit une prison. « Teremtette ! disaient les autres, Dieu me préserve d’aller là, j’étoufferais ! »

Perdu dans sa puszta déserte, le csikós a gardé des idées primitives qui contrastent avec les lois de notre société européenne. Selon lui, ce qui vient et croît seul sur la terre n’a pas de maître, et il ne se fera pas scrupule de braconner, de s’emparer d’un bœuf, d’un cheval. À ses yeux, le voleur est celui qui prend à autrui ce qui est en sa légitime possession, les objets fabriqués, par exemple, qui ne se trouvent pas sur la route et qu’il faut acheter. Mais il est des choses que Dieu a créées pour tous et qui appartiennent à tous. Voici une forêt