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Mais, comme la voûte romane dans sa nouveauté, il est certain que l’ogive correspondait pleinement à la pensée qui la cherchait. Légèreté et solidité, grandeur, facilité de construction, baies larges, largement ouvertes à la lumière désirée : le nouveau style réunissait, matériellement, tous les avantages. Moralement, il signifiait, comme un parfait symbole, toutes les aspirations nouvelles : majesté grandie de la société chrétienne, conceptions plus compliquées et plus individuelles des artistes, mouvement d’affranchissement qui soulevait les communes et, pour tout dire d’un mot, besoin général de changement.

Le génie mystique du moyen âge n’est pas détrôné. Peut-être y a-t-il, même, au fond des âmes, plus lasses que jamais du temps, mais impatientes aussi des limites dans l’étendue, un appel plus ardent que jamais à l’éternel, à l’immuable, qui s’exprime par l’espérance naïve de rejoindre, en s’élevant dans le ciel, le paradis ; les représentations que jusqu’alors l’église en avait proposées aux fidèles, ces

Paradis peints où sont harpes et lutz[1]


ne satisfont plus les imaginations. Des sentiments de cet ordre se heurtent dans les mêmes esprits à l’enthousiaste amour de la nature ; on a soif de lumière vraie, à laisser librement se jouer sur d’immenses plans d’architecture, sur de belles formes sculpturales fidèlement reproduites d’après le modèle vivant. — Ainsi le moyen âge, à la veille d’enfanter l’âme moderne, donnera de son génie naturaliste et de son génie mystique l’expression la plus lyrique. C’est l’accord de ces deux génies qui nous explique toute la beauté gothique et l’espèce de cette beauté.

L’Île-de-France est la patrie de cet art, si français que tous les peuples du moyen âge l’ont toujours désigné de ce mot : l’Art français.

« Un cercle, ayant pour centre Paris, et une cinquantaine de lieues de rayon, enferme les cathédrales les plus franches. L’architecture gothique étant considérée comme un système d’équilibre fondé sur la transmission des poussées, c’est dans ce cercle seulement que vous rencontrerez les monuments logiquement conçus. Le mouvement d’expansion part du centre et se propage à la circonférence. Si on la franchit, on trouve encore des constructions exceptionnellement marquées de l’influence de nos architectes, comme sur le Rhin, mais, le plus souvent, les architectures échappent à cette belle rigueur intellectuelle qui fait la gloire de

  1. Villon.