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que s’il fallait le disputer aux entrailles du sol. On dirait que la lumière, aujourd’hui, fait à toute cette beauté un linceul.


Ce qui est le plus difficile, ce n’est pas de penser avec la primitive ingénuité de l’enfance : c’est de penser avec la tradition, avec la force acquise, avec tous les résultats thésaurisés de la pensée. Or, l’esprit humain ne peut aller très loin qu’à cette condition : que la pensée de l’individu s’ajoute, avec patience et silence, à la pensée des générations.

Mais l’homme moderne ne tient plus compte de la pensée des générations.


L’art du Moyen Âge, dans son ornementation comme dans ses constructions, procède de la nature. C’est donc toujours à la nature aussi qu’il faut recourir pour le comprendre.

Voyez Reims : dans ses tapisseries nous retrouvons la couleur, les feuilles et les fleurettes de ses chapiteaux. Ainsi de toutes les Cathédrales.

Donnons-nous donc la joie d’étudier ces fleurs dans la nature, pour nous faire une juste idée des ressources que leur a demandées le décorateur des pierres vives. Il a pénétré dans la vie des fleurs en considérant leurs formes, en analysant leurs joies et leurs douleurs, leurs vertus et leurs faiblesses : ce sont nos douleurs et nos vertus.

Et les fleurs ont donné la Cathédrale.

Il suffit d’aller à la campagne et d’ouvrir les yeux pour s’en convaincre.

Vous recevrez à chaque pas une leçon d’architecture. Les hommes de jadis ont regardé avant nous, et compris. Ils ont cherché la plante dans la pierre, et maintenant nous retrouvons leurs pierres immortelles dans les plantes éternelles. Et (n’est-ce pas le plus grand hommage qu’ils eussent pu souhaiter ?) la nature, qui pourtant ne fait, sans doute, guère état de nos dates, sans cesse nous parle du XIIe siècle, du XIIIe, du XIVe…, du XVIIe… C’est elle qui se charge de défendre contre toutes les critiques les anonymes de ces grandes époques.


Pour moi, ces belles études en plein air me sont bienfaisantes. — Ma chambre me fait mal, comme des souliers trop petits, qui me blesseraient.