pensées, sentiments même, il abdique tout ce qu’il considérait naguère comme son privilège et sa gloire, et, producteur d’art, il n’apporte dans l’opération de ses yeux et de ses mains nul dessein.
Il va de soi que cette réduction rigoureuse de l’impressionnisme à ses formules est toute théorique. En fait, l’individualité de chacun des peintres impressionnistes est très marquée, et il s’en faut que l’homme, dans les productions de ce groupe d’artistes, soit absent de son œuvre. Toutefois, dans ces productions, le tempérament a incomparablement plus de part que l’intelligence, que la sensibilité même, et l’imagination en est exclue. Il serait chimérique d’y chercher une pensée, pas plus celle de l’artiste lui-même que celles du passé : l’artiste a rejeté le bagage des siècles et, s’il ne parvient pas absolument à s’effacer devant la nature, il y tâche.
L’artiste gothique entendait autrement sa mission. Docile à l’autorité des clercs, il n’était pas l’inventeur de la doctrine qu’il interprétait : mais c’était, avec la leur, celle de toute l’humanité, au moyen âge, par conséquent celle de l’artiste aussi. La lente opération anonyme des siècles l’avait produite, et même, dans les lignes générales de son expression, fixée. Pourtant, l’artiste, plein de cette doctrine qui fait toute sa vie intérieure, renouvelle sans cesse cette expression, s’y ajoutant tout entier, y mêlant les deux ardeurs de son amour pour la nature et de sa foi en Dieu, y puisant le principe et la raison de son art.
L’artiste impressionniste est venu dans un temps où l’humanité ne possédait aucune pensée commune. La plupart de ses contemporains se contentaient du faux semblant de certitude qu’ils trouvaient dans l’enseignement dit classique. La gloire de Manet et de Monet, de Renoir, de Pissarro, est d’avoir méprisé ce mensonge, invention d’un individualisme exaspéré qui, trahi du talent, avouait enfin, quoi qu’il en eût, son irrémédiable misère. Ils furent magnifiques de sincérité, de courage. Privés de tout lien spirituel qui les unît, ils ne s’avisèrent pas d’y suppléer par quelque artifice ; ils trouvèrent dans leur dénûment même les éléments d’une entente et la force de réagir contre la dispersion déterminée par l’individualisme. Il y avait devant eux une multitude d’unités sans cohésion réelle et qui prétendaient pourtant se rejoindre entre elles par les factices traits d’union de formules apprises par cœur et stériles ; ils constituèrent, en face de cette multitude, le petit groupe de ceux qui osèrent dire : Puisqu’il nous est impossible de démêler dans les leçons de nos maîtres la voix du grand passé, puisque décidé-