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la vie, aisée et facile n’est troublée par aucune préoccupation, où l’avenir est assuré et à l’abri des chances de la fortune, l’Art Culinaire prend toujours un développement considérable, parce qu’il contribue à l’un des plus agréables parmi les plaisirs qu’il soit donné à l’homme de goûter.

Au contraire, là où la vie est active, où les mille soucis de l’industrie et du négoce accaparent l’esprit de l’homme, celui-ci ne peut donner à la bonne chère qu’une place restreinte dans ses préoccupations. Le plus souvent la nécessité de se nourrir apparaît, aux gens emportés par le tourbillon des affaires, non plus comme un plaisir mais comme une corvée ; ils considèrent comme perdu le temps passé à table et ce qu’ils exigent avant tout de ceux qui ont charge de les sustenter, c’est surtout de ne jamais les faire attendre.

On peut, et on doit, déplorer de telles habitudes. Ne serait-ce qu’au point de vue de la santé des convives, dont l’estomac est appelé à en supporter les conséquences, elles sont absolument blâmables. Mais il est hors de notre pouvoir de les refréner ; tout ce que peut, en pareil cas, la science culinaire, c’est de pallier, dans la mesure du possible, par la perfection de ses produits, les imprudences des hommes.

Le client exigeant d’être servi rapidement, nous n’avons pas d’autre alternative que de lui donner satisfaction ou de le perdre ; ce que nous lui refuserions en ce sens, le concurrent le lui donnerait. Nous sommes donc obligés de nous plier à sa fantaisie. Si nos méthodes habituelles de travail, si notre genre de service ne se prêtent pas à cette obligation, il nous faut résolument les réformer. Une seule chose doit demeurer immuable, intangible : c’est la qualité des mets ; c’est la valeur savorique des fonds de cuisine, base de notre travail. Nous avons déjà commencé la réforme dans le dressage ; une foule d’impédimenta ont disparu ou vont disparaître des services modernes : les socles, les bordures, les hâtelets, etc. On ira plus loin encore dans cette voie comme nous le montrerons tout à l’heure. Nous porterons la simplicité à ses dernières limites ; mais en même temps nous augmenterons la valeur savorique et nutritive des mets ; nous rendrons ceux-ci plus légers, plus facilement digestibles pour les estomacs affaiblis ; nous les concentrerons ; nous les dépouillerons de la plus grande partie de leurs matières inertes. En un mot,